Tourné entre L'Homme de la rue (1941) et La vie est belle (1946), c'est l'un des plus grands succès de Frank Capra et un classique de la comédie pour les américains, en tout cas tout le long du siècle ; car ce classique-là est moins à l'abri de la désuétude que Certains l'aiment chaud ou Le Magicien d'Oz. Capra avait déjà mis à l'honneur des thèmes sociaux et politiques (Mr Deeds et Mr Smith au Sénat) avec son angélisme inamovible. Cette foi incorruptible et une espèce de gravité 'douce' faisaient office de couche protectrice : derrière le rideau, la trivialité des idéaux. Tant pis, pas besoin de se convertir pour trouver ces fantasmes d’héroïsme entraînants (au minimum, divertissants).
Avec Arsenic and Old Lace ce n'est plus la même recette. Capra a toujours des choses à dire mais plus de message à faire entendre. L'adaptation d'une pièce de théâtre tend à exclure ce genre de velléités. Capra se retrouve à orchestrer une galerie de personnages hauts-en-couleur, censés à la marge représenter quelques facettes de l'Amérique : les deux vieilles tueuses (la pièce est inspirée des tueuses en série Renczi et Archer-Gilligan, qui n'avaient aucun lien) ont une morale de dames patronnesses médiocres, l'oncle Theodore se prend pour Roosevelt, Mortimer Brewster est une parodie d'entrepreneur génial déboulant naïvement avec sa 'Bible du célibataire'.
Le spectacle est fort en gueule et pas plus fort qu'elles. La plupart des comédiens tirent des tronches de dégénérés au bord de l'apoplexie. Au milieu de cette foire aux grimaces et aux voies sur-aiguës, Cary Grant joue l'exalté effrayé, pantin effaré à demi-efféminé. On dirait une sorte de pré-Jacquouille (la mascotte des Visiteurs) version chochotte américaine. C'est un peu Guitry sans la vivacité (les 'numéros' dans Arsenic sont un peu désarticulés), avec une grande étendue pleine de détritus chics (les personnages trop mis en avant par rapport aux situations, trop burlesques avant d'être remplis). Le monstre de M le Maudit interprète le méchant de service le plus accompli, c'est-à-dire le type déglingué en plus d'être malfaisant.
Accompagné d'un semi Frankenstein (son visage imite celui des versions avec Boris Karloff), il apporte une touche sinistre délibérément inepte mais pas moins étrange ; un savant fou fatigué se traîne comme un Gollum diminué et en détresse. La relative platitude de la réalisation (contexte oblige) est balancée par une photo quatre étoiles et des effets à vocation comique flirtant parfois avec la fantaisie fantastique. À défaut de faire rire, Arsenic sait au moins imposer une ambiance originale, presque onirique par moments, en restant fidèle à une tradition burlesque. L'échappée vers d'autres registres, vers le glauque même (à cause du tandem Lorre/Jonathan Brewster, mais aussi de touches d'humour et de clins-d’œil très noirs), semble régulièrement possible, en train de se tramer aux alentours, sans que le ton bon enfant ne soit jamais compromis.
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