Dans son intitulé, et dès sa scène d’ouverture mélangeant volontiers érotisme et soupçon de gore, Basic instinct se distingue par sa singularité, littéralement, bien que Paul Verhoeven et Joe Eszterhas en explorent les multiples variations, variations primitives, inhérentes à chacun dans sa logique désespérément humaine : sexuelle évidemment, mais aussi de prédation, de jeu, d’envie et de danger. Mais quel serait donc cet «instinct basique» spécifié par le titre du film ? Lequel prévaut le plus, promet toutes les attentions, attise toutes les convoitises ? Duquel Verhoeven nous fait ressentir la possible révélation, observer l’incarnation sous nos yeux fascinés ?


Complexe à plusieurs niveaux (formel et narratif, symbolique et psychanalytique), souvent assimilé à Hitchcock, et plus particulièrement à Vertigo, dans ses figures et ses effets (à commencer par l’ensorcelante musique de Jerry Goldsmith, sous influence clairement herrmannienne), Basic instinct entend redéfinir à sa façon, c’est-à-dire excessive, impudique et stylée, l’expression du désir et l’art de la manipulation. Nick Curran et Catherine Tramell s’attirent, se jaugent et se confrontent d’abord, puis ensuite se sollicitent par goût du risque et du paroxysme. Se séduisent pour mieux se consumer, chacun s’arrangeant de l’autre (et des autres) pour pouvoir dominer, soumettre, vaincre, et finalement survivre.


Le personnage de Catherine est telle une figure mythologique, presque un concept, femme fatale bien sûr à côté de laquelle les hommes font pâle figure, réduits à des fonctions ou des surnoms (une rock star vieillissante, des flics balourds, un «flingueur», un «cow-boy»…), beauté du diable envoûtante vers laquelle convergent tous les axes, aussi bien scénaristiques que corporels (the body of evidence, ce serait donc elle). Elle semble tout savoir, tout connaître, tout envisager par avance, Pythie à l’aura maudite (on meurt et on tue beaucoup, dans son sillage) justifiant son existence par l’attrait du vice et de l’interdit.


Succube inventif, belle aventureuse ouverte sur des sexualités diverses, Catherine maîtrise pleinement sa vie et ses actions, épand, sur des lits recouverts de sang, les programmes débridés de ses instincts foisonnants. Ou, plus prosaïquement, s’amuse et joue («J’ai une licence en psychologie, alors ça coule de source», dira-t-elle lors de la célèbre scène de l’interrogatoire), cherche à savoir si elle pourra «s’en sortir», Verhoeven préférant alors, à une simple enquête et un coupable trop parfait, montrer comment Catherine va troubler, va tromper, va contrôler son monde pour, justement, pouvoir «s’en sortir» (nul doute là-dessus : c’est bien elle la tueuse au pic à glace).


Les scènes érotiques du film sont passionnantes non pas pour leur «audace», tendance porno soft chic, qui fit gentiment scandale à l’époque (il y a et il y a eu, depuis, beaucoup plus explicite), mais pour la constante ambiguïté qu’elles expriment, chaque scène pouvant se conclure par un accès de rage (la scène où Curran sodomise, et même viole, Elisabeth, sa psychiatre et amante) ou par une pulsion de mort. Par autre chose en tout cas qu’un banal coït exhibé dans sa plus stricte représentation. Elles font corps avec l’intrigue, la sédimentent jusqu’aux toutes dernières secondes du film s’ouvrant à maints émois et précipices.


Sur les routes escarpées des collines ou dans les night-clubs à la mode, Verhoeven suit le parcours mental et compulsif de trois êtres aux caractères quasi obsessionnels (ne pas oublier le docteur Elisabeth Garner, élément plus qu’essentiel dans cette implacable mécanique des plaisirs). Leurs invectives sont des corps à corps pathologiques, déviants dans leur recherche d’emprise passant par le vertige du sexe et les ténèbres du meurtre. Verhoeven semble y entrevoir une brillance, l’éclat d’une certitude qui serait peut-être cet instinct à définir, à comprendre dans la désignation du titre, mais dont, seul, il connaîtrait l’intention, la vérité enfin, abandonnant le spectateur, dans un ultime sursaut, aux griffes acérées d’un délicieux tourment.


Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les films aux meilleures bandes originales et Mes palmes d'or

Créée

le 25 juin 2021

Critique lue 235 fois

1 j'aime

2 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 235 fois

1
2

D'autres avis sur Basic Instinct

Basic Instinct
Sergent_Pepper
7

Hockney sur glace

La comparaison entre les premiers films de Verhoeven dans sa période néerlandaise et Basic Instinct est intéressante sur plus d’un point. Sa carrière américaine est alors déjà bien lancée, mais dans...

le 20 sept. 2015

68 j'aime

8

Basic Instinct
B_Jérémy
10

Le génie malsain et machiavélique de Paul Verhoeven

Il y eut un bref éclair argenté dans sa main, un éclat métallique, aiguisé et mortel. Sa main droite s'abattit, vive et cruelle, l'arme transperçant sa gorge pâle que son sang peignit ...

le 29 sept. 2018

57 j'aime

28

Basic Instinct
Docteur_Jivago
8

Sur ses lèvres

Cru, excessif et sensuel, Basic Instinct représente totalement Paul Verhoeven durant sa période américaine, le cinéaste hollandais joue avec ses comédiens, son scénario et le spectateur, il tire les...

le 16 juil. 2021

33 j'aime

6

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25