We will mock you
J’aime bien la musique de Queen. Pendant un temps, ce fut rangé dans la catégorie Guilty Pleasure, en souvenir de mon adolescence, durant laquelle j’ai usé jusqu’à la corde mes Greatest Hits Vol. 1...
le 25 janv. 2019
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J’aime bien la musique de Queen. Pendant un temps, ce fut rangé dans la catégorie Guilty Pleasure, en souvenir de mon adolescence, durant laquelle j’ai usé jusqu’à la corde mes Greatest Hits Vol. 1 & 2, séduit par des mélodies accrocheuses, un sens certain de la pose, des riffs qui me semblaient rageurs et un lyrisme que je croyais indépassable. C’était avant de pousser plus loin ma culture musicale, et de prendre conscience que sur le continent de la chanson, on pouvait faire moins tonitruant, que le véritable rock était autrement plus abrasif et qu’en matière de symphonies pop, d’autres aînés méritaient la couronne.
Mais Queen est resté, notamment lorsque j’ai fait découvrir par nostalgie ces titres à la nouvelle génération, et qu’ils y ont trouvé leur compte. Quand on le partage, le plaisir n’a plus besoin d’être coupable, pour peu qu’on ait la lucidité de savoir que d’autres voix existent.
J’aime bien Queen, donc, et leurs excès, leur sens du baroque, leur culot et leur sens de la dérision.
Autant d’éléments qu’on ne retrouvera pas dans ce biopic aussi savoureux qu’un verre d’eau déminéralisée.
Il n’y a évidemment pas grand-chose à attendre d’une telle entreprise : résumer en deux heures et quart une carrière n’a pas grand sens, et parler musique à l’écran suppose une audace et un talent que les producteurs ne recherchent pas forcément.
Bohemian Rhapsody cumule avec une rare constance tout ce qui peut momifier l’exercice. En cause, un souci d’efficacité visant à rendre une copie rutilante pour le parfait exposé sur le groupe, et qui va rendre fonctionnelle chaque séquence, instrumentaliser chaque personnage, pour la trame la plus convenue possible. Tout semble sous la cloche d’un musée anglo-saxon, filtré à l’orange pour une timbre légèrement vintage, mettant le paquet sur les accessoires et les costumes, distribuant comme dans une bande-annonce des amorces de morceaux pour nous donner l’illusoire accès à la genèse d’une légende.
C’est là la grande gangrène du film : puisque le personnage est iconique, chaque scène doit l’être. La moindre réplique, sur-écrite, se veut définitive, et tous les protagonistes cochent une case (la famille musicale, la famille réelle, le vilain compagnon, le bon compagnon, le producteur sans flair, l’amour de sa vie) dans laquelle ils sont irrémédiablement enfermés.
Queen jouait de l’extravagance, du déguisement et de la théâtralité : on pourrait dès lors être tenté de justifier tout le fake qui suinte du film, de ces clips numériques (et que la caméra te traverse un bus entier pour aboutir sur une scène, passe sous les pédales du piano pour aller vers le guitariste, balaie des foules en CGI au Live Aid) à ses poses d’un comédien faisant siens déhanchés et prothèses dentaires. Mais il ne se dégage rien d’autre qu’une exhibition de recettes totalement éculées, où les chapitres s’enchaînent avec la pertinence d’une sitcom, dans des scènes raccourcies pour une démonstration qu’on voit arriver à des kilomètres : le petit looser qui pousse les vocalises dans un parking le soir où le groupe a perdu son chanteur, le riff de Another one bites the dust qui vient rompre un début de bagarre, où tout finit bien par la créativité, une séquence d’interview avec flash agressifs et visages déformés sous l’effet de l’angoisse et la drogue… Pitié.
A mesure que le film avance, le pathos prend le pas sur le reste (puisque, lecteurs du Scénario pour les nuls, il faut : I. Grandeur et II. Décadence) et vampirise encore plus des scènes de plus en plus gênantes (le coming out, le split avec le groupe), sur un principe de montage qui ressemble à un exercice pour collégien :
Le film a cartonné, d’autres arrivent. La formule est toute trouvée. Faites ce que vous voulez, mais sans moi. Et par pitié, ne touchez ni à David Bowie, ni à Neil Young.
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le 25 janv. 2019
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