Si l’on voulait définir les critères d’un excellent film de divertissement, Dans ses yeux pourrait aisément être pris comme modèle. Romanesque en diable, ambitieux dans sa structure et sa temporalité sur 25 ans, sachant combiner habilement le polar, le judiciaire et la romance, le film a tout pour lui en terme d’équilibre.


Pour y parvenir, la mise en abyme, certes facile, de l’écriture aide à mettre en place les différents éléments. Par le biais de l’écriture du souvenir et l’inclusion de la subjectivité, voire d’un certain révisionnisme, le récit propose plusieurs départs, plusieurs angles pour aborder une affaire complexe et vieille de 25 ans. Un passé qui ne passe pas, et dans lequel se mêlent plusieurs registres, inextricablement liés.


Cette fluidité admirablement gérée permet dès le départ l’adhésion du spectateur : intrigué par l’enquête (notamment lors d’un superbe plan séquence sur une poursuite dans un stade de foot), ému par une histoire d’amour qu’on sait déjà condamnée grâce aux prolepses, touché par des personnages parfaitement caractérisés (Sandoval et sa touche d’humour triste, le veuf obsessionnel, le couple épris à la fois l’un de l’autre et de justice), on se laisse embarquer dans un récit aux multiples rebondissements. Tout cela fleure certes le bon le roman policier comme on en fait chaque année, et sans une originalité confondante, mais bénéficiant ici d’un traitement de premier ordre.


Car Campanello aime prendre son temps : dans les dialogues, dans une traque laborieuse et une justice qui s’écorche à de nombreuses reprises à des impératifs moins nobles, dans l’expression du sujet principal : la passion. Pour ce faire, c’est bien dans les yeux qu’il faut la chercher. Le travail sur la disposition des personnages dans ce bureau des greffiers, le jeu sur les focales pour mettre en valeur les yeux pénétrants des protagonistes, tout concours à incarner au plus haut point les enjeux. Le policier devient ainsi un prétexte à des questions plus vastes : le travail de la mémoire, l’impuissance face à un système, la capacité à oublier ou rester fidèle à des principes. Toutes les strates abordées par le récit se répondent en permanence : le cliché permettant l’identification du suspect, qui regarde la future victime, annonce celui où Benjamin regarde Irene le jour de ses fiançailles. Celles-ci incarnent d’ailleurs l’ordre d’un système immuable (les aristos se marient entre eux) qui sera celui de l’Etat pour Morales, le mari de la victime, contraint d’accepter la libération du tueur.


En position d’écrivain, le protagoniste est donc dans la complaisance : le retour des lecteurs devenus personnage de son intrigue permet une mise en perspective qui aiguise les enjeux : on le somme de passer à autre chose, et de vivre au présent. « N’y pensez plus. Vous auriez mille passés et pas de futur ».


Certes, la volonté de conclure à tout prix occasionne des happy-ends qu’on aurait pu infléchir au regard de la subtilité première du film. Mais après tout, il s’agit bien d’un film sur la passion, et sur l’écriture : si l’on compare l’épilogue avec les introductions à l’eau de rose tentées par l’apprenti écrivain, on peut décider d’avoir la même distance face à lui. On gardera alors du récit cette plongée dans les tourments humains : la peine, l’amour, l’espoir, la vengeance, l’opiniâtreté, offerts dans le secret de leurs yeux.

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le 19 août 2016

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Sergent_Pepper

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