La liste des reproches qu’on peut faire à ce film est assez imposante.
Evacuons tout de suite la question de son acteur principal, qui, en effet, combine les deux composantes d’un mythe assez inquiétant, celui de ne pas vieillir et ne ressusciter à l’envi, nous figeant un blockbuster éternel qui se serait affranchi de toute chair.
Ne nous attardons pas sur l’esthétique numérique, qui fait le job sans se fouler outre mesure, les bestioles étant bien plus intéressantes en mouvement (peu compréhensibles) que lorsqu’on les voit en détail, et finalement bien peu novatrices après les poulpes mécaniques de Matrix qu’on nous avait servis jusqu’à la nausée dans l’épisode final.
Passons sur les énormités d’un scénario qui retrouve trop tôt les rails de la convenance, puisant sans vergogne dans le catalogue jauni des attendus : un petit gars qui deviendra l’élu, le concept du blob central qu’il suffit de désactiver pour terrasser toute la menace, tout ça.
Prenons le problème dans l’autre sens et rendons grâce au fait que certains éléments n’y figurent pas : une histoire d’amour potentielle, mais mesurée. Une exaltation militariste quasiment évacuée, voire traitée par la satire. Et surtout, enfin, l’absence de famille, d’enfants, de home sweet home et compagnie.
La raison pour laquelle je suis allé voir ce film tient dans son pitch, cette petite aberration temporelle conduisant le protagoniste à revivre incessamment la même journée. Après les expériences de Moon ou Source Code de Duncan Jones, voir ce motif se déplacer dans le blockbuster de grande ampleur avait quelque chose d’intriguant.
Et, sur ces ¾ d’heure environ de groundhog day on the battlefield, le film tient ses promesses. D’abord par l’humour et la décontraction avec lesquels il traite son sujet : Cruise ne cessant de mourir, il faut donc qu’il échoue pour cela : ses ratés dans le chemin balisé du héros sont assez jubilatoires. Ensuite, par le plaisir scénaristique qu’implique cette nouvelle et incongrue règle du jeu : domination de Cruise sur ses comparses, qu’il connait à l’avance, certes, mais surtout, jeu sur le rythme : à mesure que les journées se répètent, il s’agit de jouer sur les attendus du spectateur, de redire sans ennuyer, de varier et faire de la redite un argument. Au bout d’un moment, le personnage prend de l’avance sur le spectateur lui-même, qui prend conscience qu’il a déjà vécu une scène que l’on découvre, et qu’il l’exploite tant pour son rapport à sa partenaire que son combat contre les forces ennemies. Travail sur le temps, sur les attendus, sur la prévision, l’intrigue dessine alors une mise en abyme de l’écriture scénaristique en tout point fascinante : Cruise crée le parcours idéal sur le champ de bataille en anticipant chaque explosion, chaque agression.
Malheureusement, soucieux de ne pas lasser, le film abandonne trop tôt cette option et propose une nouvelle trajectoire beaucoup plus convenue.
Pour avoir nous-même été au contact des blockbusters comme Cruise des aliens, nous avons le pouvoir de prévoir la suite d’un scénario et des ficelles grossières qui le conduiront à un happy end balisé d’avance.
Dommage. On se prend à rêver d’une écriture de la scène parfaite qui aurait conduit à la victoire sur le champ de bataille, à l’image de l’une des plus belles séquences du récent X-men days of future past, où Quicksilver nous montrait à quel point la maitrise du temps est génératrice d’un cinéma jouissif.