La crête est ténue, le pari risqué : ce projet avait tout pour sombrer. Adapter Ghost in the Shell, en soi déjà une franchise par ses diverses versions animées, suscitait autant de méfiance que d’appréhension.
Force est de constater que sur le seul critère visuel, le film emporte presque la mise. On trouvera certes à redire sur l’influence envahissante de l’esthétique de Blade Runner, et sur une anticipation qui semble ici soumise à ce que les 80’s semblaient fantasmer : la ville hologramme, gigantesque panneau publicitaire en 3D n’invente pas grand-chose, et ne surprend que rarement. Le rendu n’est est pas moins beau, fascinant par instants, et ce pour une raison finalement élémentaire : Rupert Sanders a accepté le plus bel héritage qu’on pouvait honorer de l’original, une certaine lenteur. Dans l’habillage sonore, dans les mouvements de caméra, dans le montage lui-même, et jusqu’aux ralentis (qu’on pourrait eux-mêmes considérer comme éculés ou pompés sur l’esthétique de Matrix) : des traces de la mélancolie originelle subsistent.
Scarlett Johansson, qui était déjà un corps crée pour correspondre au canon humain dans Under the Skin, joue presque sur la même partition, et c’est la seule option valable : sa quête d’identité ne convainc que lorsqu’elle regarde un humanoïde désarticulé, ou dans la belle et subreptice scène avec la prostituée humaine : son regard qui scanne l’humanité qu’elle n’a plus sonne alors juste.
Car sa froideur, son efficacité en soldat augmenté nourrissent par ailleurs les scènes d’actions, plus grandiloquentes, certes, mais qui parviennent à éviter le grotesque auquel les blockbusters récents nous ont habitués. Jouant des matières, des textures, des éclairages (la poudre, le béton, la pluie, les éclats de verre, les hologrammes, l’eau), ces séquences nocturnes pour la plupart sont souvent réussies, car elles restent sous l’influence de cette neurasthénie légère, cette gangue technoïde qui, loin d’augmenter et d’améliorer les individus, les prive surtout d’une réelle incarnation.
Autant d’éloges qui semblent faire de ce film une réussite indiscutable. Reste néanmoins à mettre tous ces efforts visuels au service d’une intrigue. Nourrie du premier volet pour la genèse, du second pour quelques éléments visuels (la geisha cyborg, le basset cher à Oshii), elle évoque la conception du major, et retrace la traque d’un cyber terroriste qui n’aura malheureusement pas l’étoffe du Puppet Master.
Ghost in the Shell était un adieu à l’humanité, et l’émergence autonome d’une intelligence artificielle dépassant les créateurs limités qui l’avaient initiée. Cette version opère une curieuse mais prévisible bifurcation : un retour à l’humain.
« Tu es tout ce que le monde finira par devenir un jour », dit sa créatrice à Mira. « Si tu savais comme je me sens seule à cause de ça », lui répond-elle… cette mélancolie aurait dû mener les enjeux à leur terme. Au lieu de cela, le formatage de circonstance va prendre l’humanité du personnage comme seule quête. En cela bien trop proche de Blade Runner, et presque hors sujet par rapport à la noire beauté de l’anime original, il s’agit dès lors de reconstituer des souvenirs, de restituer l’histoire effacée et, en un sens, re-limiter le personnage à sa dimension humaine. On voit bien là l’idée fédératrice d’une possible identification au spectateur, par frilosité sans doute à le sortir de sa zone de confort, quitte à nier tout ce que l’œuvre avait de proprement vertigineux auparavant.
Nous n’avions besoin ni de glitchs mémoriels, ni de chats, ni d’une mère éplorée, d’une chambre devenue mausolée ou d’une tombe : tout ceci ne fait que rabaisser le personnage à un individu, alors que son statut pouvait faire de lui un archétype effroyablement universel.
Il faut donc avoir vu, digéré et apprécié la Genèse post-humaine d’Oshii pour déprécier cette version. Ambitieuse en termes d’images, elle patine sur les thématiques philosophiques qui en sont pourtant l’essence : inféodée à la peur de l’inconnu, l’anticipation régresse.