Après Gremlins en 1984 qui marque le point culminant de sa carrière, Joe Dante enchaîne des films accueillis plus froidement, comme L’Aventure Intérieure ou surtout Les Banlieusards. Il reprend alors son succès le plus culte et réputé pour fournir cette suite excellente, dépassant allègrement son prédécesseur pour deux grandes raisons : une emphase complète sur les conneries des gremlins et une unité de lieu pour tout saccager mais de manière cohérente. Le générique Looney Tunes, le cameo d'un catcheur célèbre (prétexte à un film dans le film, après Snow White) et l'auto-référence un peu agressive (via le critique condescendant envers le premier opus et ses bons clients) témoignent de l'assurance et du confort acquis.
Bien sûr le premier Gremlins était destroy et même flirtait avec le gore, mais il n'était pas si survolté. Cette fois les incertitudes se sont envolées : place à la farce et à la désinhibition. Voilà la grosse avalanche trollistique déployée, avec Guizmo sous influence Rambo pour la contre-offensive ! Les gremlins prennent le contrôle de la tour et du film : ils sont comme l’iceberg du Titanic, mais ne laissent pas la tragédie faire son office. Au lieu de ça ils accélèrent la désintégration dans un grand bain festif composé de mises à morts, d’expérimentations, de démolitions, d’inversions des rôles et de subversions (comme la proposition indécente de la scène de fermeture). Leur jubilation est compulsive, ils peuvent s'entre-tuer dans la bonne humeur. Nous avons le droit à une grande variété d'individus (avec des mutants comme l'araignée ou l'électrique), encore dopée par le passage en laboratoire, avec des nouvelles fonctions comme celle du porte-parole à destination des humains ou de la pin-up amoureuse (la femelle du gang justifiant des passages de comédie musicale).
Le propos est toujours un peu galvaudé, facile, sans être aberrant. D’abord cette suite se situe dans la cité new yorkaise, avec ses habitants stressés, speed et malpolis ; et cela Dante va bien le souligner au cas où un beauf dans un recoin de la salle n’aurait pas percuté. Le couple du premier film s’avère BCBG d’apparence, légèrement niais et carrément fauché en vérité (dans le contexte, pas universellement). Ensuite il y a la caricature kitsch du monde de l’entreprise et du quartier des affaires typique, avec quelques lapalissades plaisantes sur la place de l’art, l’échelle des salaires, l’appât du gain. Joe Dante est proche du Burton critique de Edward aux mains d’argent notamment, mais ferait passer La vengeance d'une blonde pour un modèle de rigueur sociologique avec sa Marla (personnage également proche de celui de Nicole Kidman dans Prête à tout, sans le machiavélisme subtil ni le côté psychopathe sympathique). Le premier opus avait déjà une vision cartoonesque des réacs et des vieux.
Lorsque Dante s’enquiert trop de socio-politique, le ridicule n’est jamais loin ; toutefois ici il révèle une gamme large, relativement complexe et la rend plus lisible que jamais. Dans l’ensemble de son œuvre, elle ne trouve pas vraiment de traduction appropriée, au point que Dante finit par surenchérir vers une option digne de la crise d’ado inculte mais de bonne foi (d'où l'existence de Small Soldiers). Avec Gremlins 2, globalement, il ne sert pas du gauchisme avarié (comme dans son épisode Vote ou crève des Masters of Horror), mais une satire avec pour seul parti-pris positif... le retour à la simplicité et l’authenticité du traditionalisme des petites cités. On est devant la critique des yellow big cities (les libéraux cosmopolites) au profit des red towns (les villes de province conservatrices ou communautaires), avec la contribution de la gauche (celle qui décrie la standardisation et les hiérarchies) voire du socialisme standard, 'populiste' ! Une position assez limpide et répandue.
À bon escient, Dante oriente presque exclusivement son métrage vers la farce pantagruélique au fur et à mesure ; même les fantaisies capitalistes et leur grand ordonnateur (supposé refléter Donald Trump – échec flagrant, un de plus en matière 'psychologique' dans l’œuvre du réalisateur) y gagnent en innocence. Les gadgets technologiques avancés apparaissent comme la relève des inventions du père dans le premier opus : elles sont également foireuses. La catastrophe a pu faire oublier les impératifs de tous ces prédateurs arrogants, hystériques ou juste pompeux : la surveillance, la compétition, l'hyper-rationalisation pour économiser partout et traquer les petits écarts des potentiels improductifs. Dante assimile le rôle du carnaval, où les mauvaises passions, les pulsions et le ressentiment sont liquidés – un exutoire soulage mieux qu'un engagement et peut réjouir (ou nourrir) plus de monde.
Comme dans le premier film, l’action intègre de multiples références, des peintures humaines de Batman en passant par Phantom of the Paradise et Le Magicien d’Oz (ou encore Le fantôme de l'opéra), mais aussi en faisant d’un Gremlins une créature issue des tableaux de Arcimboldo et d'un autre une gargouille. Et Dante pousse la revendication de ses goûts plus loin puisque le film compte un grand invité, Christopher Lee, le Dracula de son enfance qui a habité l’imaginaire de l’enfant spectateur ébloui et que l’adulte devenu cinéaste intègre enfin dans sa propre réalité ! Cette exaltation de cinéaste-cinéphile n’a pas empêché Gremlins 2 d’être un échec commercial, celui de trop puisque les 90s seront la traversée du désert pour Joe Dante.
https://zogarok.wordpress.com/2017/08/29/les-gremlins/