Dans l'ère du torture porn des années 2000s ouverte par Saw, Hostel a été l'un des plus gros morceaux. L'énorme buzz du film, de sa promotion assurée par le label Tarantino (se dévouant producteur après être tombé amoureux de Cabin Fever, premier film de Eli Roth) à son succès miracle au box office (leader des entrées aux USA pour son premier week-end) repose sur les arguments les plus putassiers. Hostel est un film odieux bien sûr, mais il ne l'est pas seulement par sa prodigieuse violence. Deux choses, majeures : c'est un voyage au bout de l'enfer, un vrai ; c'est l'horreur vivante, consistante, réfléchissant son époque ; accessoirement, écumant son genre en le dépassant sur le plan des idées, de la performance et du style.
S'il a reçu de bonnes critiques et un accueil public enthousiaste, Hostel contient ce qu'un film d'horreur a de plus révulsant pour les phobiques, tandis que sa démarche peut être ressentie comme détestable. Tout ce qu'on peut reprocher à Hostel se retourne en sa faveur et c'est justement le problème et le génie de ce spectacle fascinant. Éventuellement on peut le tenir en plaisir coupable et se flageller ou minimiser ; mais il y a bien mieux à faire, c'est avouer toute la richesse du matériel, de son sujet, toute la consistance et le (bon) goût du raconteur d'histoires et mythologue à l’œuvre. Qu'on lui reproche ses côtés rustauds, barbaques ou démagos (la vengeance légitimée, le cynisme profond), Hostel est brillant et c'est très agaçant.
La première richesse c'est cette ambiance... fabuleuse ! Même dans la première moitié, vulgaire et outrancière, Hostel est virtuose et enchanteur. Quelque chose couve, le drame affreux négocie sa place dans la comédie, un conte tisse sa toile. Dans les intervalles entre les moments les plus sombres, des zones d'humour grotesque apparaissent et Eli Roth invente presque le survival cartoonesque tandis que le mystère s'épaissit et l'explicite devient subtil. Le récit est simple mais excellent, ménage la suggestion et la démonstration. Tout est techniquement impeccable, en particulier la très belle photo. Eli Roth fait preuve d'un art du suspense et plus encore d'une aptitude à générer l'ambivalence admirables.
Il joue avec les fantasmes, clichés mais surtout réalités dont le contexte est mal éclairé. La Slovaquie de Hostel est une contrée paupérisée, sinistre, abandonnée aux forces du mal et de la dégradation. Cette confusion est à l'image de l'ivresse nauséeuse qu'inspirent l'amalgame des peurs, des faits et des croyances. La conformité documentaire importe peu, la vraisemblance est parfaite. Nous savons qu'il existe des perversions et ''extases'' secrètes pour ceux qui sont prêts à en payer le prix. Si nous ne le savons pas, nous ressentons la possibilité, voir la fatalité de ces trafics souterrains, des humains et même de leur mort.
Cette marchandisation des individus est un sujet de fond et de forme. Souvent les slashers manifestent une orientation puritaine en créant un lien de causalité entre plaisir transgressif même mineur et retour de bâton par la mort. Hostel va plus loin car elle représente la contamination de l'irresponsabilité et du désir muselé seulement par l'argent ; les trois jeunes américains sont venus passer du bon temps, sans égards pour les territoires qu'ils foulent, sans la moindre inhibition ; mais il y a d'autres touristes avides. Et eux ont du pouvoir, pire, ils ont des pouvoirs organisés avec eux. Toutes ces pistes, Hostel II va les mener à leur terme en élaguant le chemin.
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