Où sommes-nous ? Ce bruit assourdissant, dissonant, qui nous parvient à la vue de ce quartier pavillonnaire tout droit sorti de Blue Velvet ou Donnie Darko. Une jeune adolescente peu vêtue sort de chez elle en courant sur la route, effrayée par on ne sait quoi. Semblant fixée quelque chose -quelqu’un (nous ?), un fantôme qu’elle seule n’apercevra- elle rebrousse chemin pour se morfondre dans la voiture paternelle et partir se réfugier sur une plage. Mais ce qui la suit la retrouvera. Le drame commence, la torpeur s’immisce. It follows donne déjà le tournis, assume une maitrise formelle qui laisse sans voix et calibre parfaitement sa narration horrifique sans jamais tomber dans la facilité du « jump scares » infantilisant.
David Robert Mitchell suit son propre cheminement en faisant d’It follows une œuvre aussi énigmatique que simpliste, magnifiquement fagotée par une esthétique de papier glacé qui fait ressortir avec intensité son mélange de chaud et de froid tant dans les plans extérieurs qu’intérieurs ; surtout par la classe ébouriffante de ses ballades en bagnoles filmant le Détroit vampirique d’Only Lovers Left Alive, à la fois consumé et détérioré. Sans y voir de corrélation dans le fond narratif, It follows pourrait se rapprocher du travail visuel de Nicolas Winding Refn avec un sens du cadre adroit ; peinturluré par ses innombrables ralentis ou travellings ; écrasés sous le pouls d’une musique électro flamboyante non sans rappeler la modernité d’un Cliff Martinez (Drive, Only God Forgives) ou d’une Mica Levi (Under the Skin).
It follows est un film facilement définissable, notamment par le biais de son efficacité presque enfantine de série B humble et efficace ; avec cette sorte de croque mitaine polymorphe et sanglant ayant comme but de tuer les adolescents après une relation sexuelle ; se refilant eux-mêmes le monstre comme une vulgaire MST. Un garçon couche avec Jay. Jay deviendra alors la proie. Se focalisant sur ses effets horrifiques et d’épouvante du slasher, parsemant le film de mémorables frissons, It follows n’en oublie pas son fond à travers la délicatesse du regard du réalisateur pour le traitement qu’il émet à travers une étude de caractère sans gras.
Et Dieu que le résultat emballe la garniture avec maestria. Préférant s’intéresser à l’étroitesse de ses cadres et l’épure de son ambiance de teen movie spleenesque, It follows réinvente la manipulation des légendes urbaines qui fascinent les adolescents tout en les égratignant de l’intérieur par l’intime : la sexualité. Une sexualité qui interférera dans la relation de ce petit groupe d’adolescent prenant des dissonances psychologiques toutes particulières. D’ailleurs, tout en séparant ce qui doit être séparé, on se met à penser à Under the skin, avec cette jeune fille qui se mettra à coucher pour s’éloigner du mal, en injectant la mort à la porte de la vie de jeunes garçons. Scène assez impressionnante de non-dit où l’héroïne se jettera à l’eau pour rejoindre une bande de mec pour laisser son corps, presque à l’échafaud.
Le sexe comme évacuateur de la torpeur, de la mélancolie, en devient un geste funeste et mortifère chez des adolescents perdant leur innocence dans un univers dépourvu d’adulte. It follows est avant tout un jeu du chat et de la souris entre un fantôme et sa victime (et le spectateur) qu’elle seule ne voit. Ce qui fait que les amis qui accompagnent la jeune femme sont presque dans le flou total. Cette présence qui prend plusieurs formes (la mère, le père, un anonyme..) fait rentrer le film dans des contrés fantastiques et thématiques (social et enfance) intelligemment inscrites dans la cohérence de l’œuvre devenant paranoïaque marchant sur les traces du Shonen Bat de Satoshi Kon. Non sans défaut (un climax un brin timide), It follows voit là arriver un réalisateur presque inconnu, au talent aussi effrayant et tétanisant que son esprit faucheur.