C’est sur un éblouissement propre à séduire le cinéphile peu connaisseur du genre que s’ouvre It Follows : une superbe leçon de mise en scène. Le plan séquence initial, tout en lenteur circulaire, distille dans sa maitrise et sa sérénité triste l’atmosphère désenchantée qui fera tout le charme du film. Lui succèdent quelques tableaux (un silhouette minuscule sur la plage, l’éclairage provenant des phares de la voiture ou le portrait atrocement mutilé d’une jeune fille) qui achèvent l’opération de séduction : nous sommes prêts à suivre.
De poursuite, il sera donc question, et force est de constater que David Robert Mitchell prend un malin plaisir à subvertir les attendus de son sujet. Pas de frénésie, peu de course, ou alors celle, déraisonnable et pathétique, de pantins face à une lenteur inéluctable.
Dans cette ville en ruine, seul un groupe lui-même dans les miasmes de l’âge ingrat, semble exister, et accomplit sans trop y croire un trajet inféodé à un concept pour le moins fumeux : une malédiction sexuellement transmissible qui impose qu’on l’explique au contaminé, car s’il meurt de celle-ci, elle remonte au donneur. On pouvait craindre le pire dans cette alliance qui sied tant au teen movie : sexe à la chaine et massacres idoines. C’est aussi là que le film se distingue avec malice : de sexe, il sera peu question, et c’est dans le malaise de la maladie qu’il se fera, la plupart des protagonistes ayant conscience des enjeux, le transformant en une forme étrange de sacrifice.
Ce thème semble d’ailleurs contaminer toute l’esthétique du film : pas de victoire, pas de jubilation, pas de revanche : les protagonistes semblent résigner à faire avec, tout comme ces pavillons a l’abandon, sur des kilomètres, attestent de la nature d’un monde qui subit. Crise financière, crise d’identité, crise sexuelle : il ne reste rien qu’un monde en ruines, et le cinéaste pour en extraire la poisseuse substance. Son regard acéré, dans une photographie laiteuse qui rappelle les films indépendants de ses prédécesseurs (Sofia Coppola notamment), compose de somptueux portraits de décors aussi variés qu’unis par la mélancolie qui les assombrit. La mise en scène, méticuleuse, joue des points de vue et d’un des artifices permettant les innovations, à savoir l’invisibilité du suiveur pour les autres personnes que sa victime. L’arrière-plan devient ainsi une menace permanente dans laquelle nous identifions des marcheurs potentiels, ne sachant s’ils seront ou non vus par les autres. De la même façon, l’affrontement final dans la piscine alterne les points de vue, jouant de l’invisibilité ou non du suiveur, permettant une dynamique tout à fait intéressante.
It follows serait donc la solution idéale pour réconcilier amateurs du genre et cinéphiles plus généralistes… Pas si sûr : aux premiers, il risque d’être considéré comme prétentieux et pisse-froid, tandis qu’il pourra faire penser aux seconds qu’un cinéaste d’un tel talent pourrait atteindre des sommets s’il se débarrassait du ridicule inhérent à son pitch et à son inévitable développement (découverte, doute, croyance, affrontement, victoire). Qu’on ajoute à cela la déception quant aux promesses d’un film « utra flippant »…Il n’empêche : un réalisateur à suivre s’affirme clairement ici, et c’est de toute façon une bonne nouvelle.