Il y a quelque temps, quelque part : l’exergue du dernier film de Dolan l’affirme avec un brin de malice et de provocation : ses sujets sont toujours universels, et partant, toujours identiques. La famille dévorée par ses névroses et ses non-dits, cette cellule dans laquelle les détenus sont obligés à cohabiter, surtout pour le pire.


En adaptant librement Lagarce, Dolan se fait épauler dans une thématique qu’il affectionne : celle de la confrontation au pire, ici, le retour après 12 ans d’absence d’un homme de 34 ans, gay et condamné par la maladie : il ne suffira pas d’assumer le silence qu’on a imposé, mais de le briser par l’annonce d’un nouveau silence, imminent définitif.


De silence, il sera paradoxalement beaucoup question dans ce huis clos verbeux, qui assume parfaitement de jouer la carte du théâtre filmé. Parce qu’il est trop tard pour rattraper le temps perdu et trop dur de dire les choses, on se livre à une mascarade qui ne cesse de différer la vérité. Rien n’est trop explicite pour Dolan, en quête obsessionnelle de tout le nuancier de l’indicible : les bégaiements, l’aboiement ordurier, les répétitions, les ratés. On se jauge, on aligne mécaniquement tous les duos possible : Louis et sa belle-sœur, sa sœur, sa mère, son frère, pour différer sans cesse, et au-delà du supportable, la vérité à déclarer.


Mommy était une sorte d’exception dans son lyrisme attachant : dès J’ai tué ma mère, Dolan a a entrepris de mettre en œuvre des personnages et des films peu aimables. Son succès croissant fait se bousculer à sa porte les candidats au portrait acide, et c’est le cinéma français qui se voit servi pour cet opus. Et chacun d’y aller de sa performance borderline. Certes, il ne faut pas confondre des personnages détestables avec les comédiens qui les incarnent, et oui, nous immerger dans un dimanche de province névrotique n’a pas pour vocation de nous séduire. Mais dans la majeure partie des séquences, la sauce ne prend pas. Très écrit, souvent très faux, le malaise convoité est le plus souvent ressenti à propos du film et non de ses situations. Le film a beau ne durer que 95 minutes, on s’ennuie beaucoup.


D’autant que le cinéaste ne s’efface pas devant la sacralité du théâtre : ses tics esthétiques sont le sixième personnage, celui du père absent, pourrait-on dire, la figure du metteur en scène qui regarde s’agiter son petit théâtre de marionnettes. Longues focales pour effacer toute référence à l’extérieur et exacerber l’étouffement claustrophobique par des gros plans constants, traitement du temps déraisonnable par de longues pauses lyriques étirées à l’envi, insistance à la limite du sadisme pour guetter la faille dans chaque visage, rien ne nous est épargné. La musique, constante, surligne inutilement ce sur quoi l’image insiste déjà. A cela s’ajoutent des séquences classiques chez Dolan, flashbacks pop et à la limite du sirupeux sur des hits qui veulent nous rejouer le sommet atteint sur Céline Dion dans Mommy : ici, une fois encore, l’effet est assez désastreux.


Tout pourrait se justifier : les montagnes russes du rythme et de la tonalité sont celles de cette famille maladroite qui, au lieu de laisser parler ce fils mutique, ne cesse de combler le silence qu’il leur offre. Sa posture, d’ailleurs, devient elle aussi irritante : l’homme de théâtre, de la capitale, l’homme de peu de mots à la diction précieuse, détenteur d’une sagesse inaccessible car au seuil de la mort n’est pas une figure à laquelle on a envie de s’identifier.


Et c’est là, paradoxalement, que le film prend enfin son envol. Par un échange avec la mère qui, au détour de quelques phrases, permet l’accès à l’envers de la façade hideuse qu’est son maquillage outrancier. Mais surtout dans l’unique sortie de la maison en voiture (mais toujours filmé de la même manière, cantonné à l’habitacle et sans accès à l’extérieur) avec son frère, Vincent Cassel à qui on offre son quart d’heure réglementaire. Son dynamitage de l’écrit, de la posture d’auteur, des perversions propres à l’intelligence de celui qui maitrise le langage permettent enfin une respiration, un accès à une vérité.


Mais il est bien tard pour que cela permette un rééquilibrage de tout ce qu’on nous a infligé jusqu’alors. Le final, cathartique en diable, rejoue avec le même pessimisme immature la carte de l’incommunicabilité, et finit par soulever une question essentielle, celle de l’intention du cinéaste. Car en maintenant ses personnages dans cet espace clos et cette prison névrotique, en auscultant avec une telle insistance les silences et l’impossibilité à émouvoir, Dolan construit son propre trône : par lui, l’émotion, par ses images, la satire au vitriol, par ses clips, l’accès à la vérité des êtres. Et pour le spectateur qui voit les coutures, c’est une manipulation qu’on n’est pas prêt à gober.


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Sergent_Pepper
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le 22 sept. 2016

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