Après un Jackie Brown qui délaissait la violence caractéristique du réalisateur, Quentin Tarantino rebrousse chemin et signe une œuvre qui dévoile, son véritable amour pour son art. C’est une évidence, Kill Bill est un cri du cœur, une récréation enfantine, une rêverie empoisonnée, un coup de katana qui tranche dans le vif et qui éclabousse de sa fougue, toute une génération. Film somme de toutes les influences du réalisateur, Kill Bill est l’épithète qui symbolise la matière première du cinéma de Quentin Tarantino : la dévotion pour fabriquer un film hommage, une œuvre du dimanche soir (logo de la Shaw Brothers); volonté qui galvanise cet ancien vendeur de vidéo club. Certains crieront au plagiat, à l’imposture, à la compilation opportuniste et égocentrique ? Tant pis, ce premier volume du diptyque concernant Beatrix Kiddo, comporte toutes les obsessions du cinéaste, qui délivre de ce fait, une fascinante séance de cinoche, sérieuse et non sans teintée d’un humour burlesque ; sèche et rapide comme un coup de trique.


Abandonnant ses longues plages de dialogues et son intérêt particulier pour le polar tout en polarisant son affect pour l’Entertainment, Quentin Tarantino met de côtés sa clique de losers. Fini les anti-héros, les mafieux de pacotille, les boxers sur la corde raide, ou les toxicos pavillonnaires, c’est une toute autre mécanique, le chanbara et le cinéma japonais, qui gicle sur l’écran. Revenu d’outre-tombe et ancienne tueuse à gages, The Bride, a qu’une seule ambition : tuer ses anciens complices, qui ont tenté de la tuer durant son mariage. Kill Bill, éblouit et iconise ses incantations avec cette réappropriation du Jour de la mort, du fantôme de Bruce Lee vêtu de son légendaire jogging jaune et noir. Il crée une héroïne, une Uma Thurman prenant le visage d’un super héros qui manie les arts martiaux comme personne. Par l’évacuation esthétique de sa protagoniste, Quentin Tarantino passe le flambeau et inscrit la sacralisation de son imagerie de la violence qui met la femme aux centres de son architecture, face à David Carradine, protagoniste de la série Kung Fu. Avec comme étendard, ce nihilisme toujours gravé comme fortune d’une époque, Kill Bill est une cure de régime, sans gras et tout en protéine, qui en oublie de dessiner la société américaine pour mieux se concentrer sur son schéma pictural, qui est de créer un patchwork de genre (western, série B, revenge movie, manga…).


Ainsi, tout en respectant sa narration chapitrée, tout en chronologie déstructurée, Kill Bill suit un chemin binaire : celle de la mort. Et pas de place pour la rédemption, ni la conciliation. De l’eau a coulé sous les ponts après cette tentative d’assassinat, qui plongea la mariée dans un coma de plusieurs années, mais la mémoire reste intacte et après un réveil impromptu, une idée tapisse l’esprit de notre héroïne: la vengeance. Et à partir de là, Kill Bill avance à toute berzingue et décoche ses coups sans relâche jusqu’à atteindre sa cible allant du petit lotissement américain sans problèmes à la ville de Tokyo, ville de la pègre yakuza. Dès le début, on est mis au diapason avec ce premier combat au corps à corps frénétique à l’arme blanche. Alors qu’on savait Tarantino, malin dialoguiste et metteur en scène confirmé, le réalisateur signe son film le plus fortifiant formellement parlant, et capte l’action avec énergie. Cette fois ci, il efface les mots et leur juxtaposition visuelle, s’essaye aux split screens (marque de fabrique de Brian de Palma), pour visualiser les corps et leurs gesticulations, chorégraphier les mouvements et leur signification (magnifique Chiaki Kiriyama en écolière sadique et combattante chevronnée faisant le pont avec Battle Royal).


Cette idée de mouvement, d’expressionisme d’un pan de son cinéma brûle avec incandescence durant les 10 minutes de manga qui parcourt le film : racontant la jeunesse du personnage Oren Ishii comme parabole funeste à celui de Lady Snowblood de Toshiya Fijita, cette séquence animée (studio derrière Ghost in the shell), aux accoutumances japonaises, pulvérise sa haine, et voit le sang peindre le mur de sa saveur morbide. Peut-être la violence la plus graphique dans la filmographie de l’américain. Formant un diptyque, une mosaïque de références secouées dans un shakeur, Kill Bill est dilué entre un Volume 1 et un Volume 2, mais le premier du nom parle pour lui, et gagne en galon pour exécrer sa valeur, son identité carnassière et jubilatoire où Tarantino ne perd pas son talent pour sécréter des moments de cinéma marquant, notamment cette fulgurante séquence avec les Crazy 88. Un combat d’une rare générosité, à la fois en couleur et en noir et blanc, opposant son héroïne face à une centaine de yakuza. Rien que ça.

Velvetman
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le 8 janv. 2016

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