Ce film n'est peut-être pas le premier film d'actualités, mais est reconnu comme tel car il est le premier à l'avoir été sous un angle militant. En 1899 l'affaire Dreyfus est une polémique d'ampleur historique, catalysant des passions et des tensions politiques énormes ; sa victoire en sera une pour la gauche française, ou du moins appréciée par elle. Méliès prend parti et se range dans le camp des dreyfusards (il joue Fernand Labori, l'avocat de l'accusé). Son film dure onze minutes et se découpe en neuf tableaux (onze à l'origine, deux seraient perdus), soit autant de scènes et de lieux différents.
Pour ce projet Méliès doit laisser de côté les trucages pour lesquels il est connu et qui font de lui un pionnier du 'septième art'. Malgré le dépouillement et le réalisme requis, le film a tout de même un intérêt esthétique. Il présente quelques décors originaux lors des (trois) prises en extérieur, la première avec Dreyfus à l'isolement encerclé de palissades, la seconde (le débarquement à Quiberon) nécessitant quelques astuces pour rendre le ciel et la mer crédible (balancement des matelots, ciel orageux). L'attentat manqué utilise un petit effet pyrotechnique (pour l'arme à feu) et exceptionnellement, Méliès répète au montage la même seconde, celle du tir – la plus spectaculaire, même si ringardisée en quelques années.
La scène la plus notable est celle de la bataille des journalistes, où une dizaine d'hommes se confrontent et passent en gros plan (Méliès fait toujours des plans moyens/d'ensemble qui tiennent à distance, avec des déplacements de faible ampleur, voire simplement de droite à gauche, en général pour les acteurs). Méliès utilisera l'échelle du gros plan et non celui-ci, en 1901 dans L'Homme à tête de caoutchouc, pour simuler le gigantisme de sa trogne. Les comédiens adoptent des postures conventionnelles, sauf celui parodiant le tireur. L'expressivité est quelquefois peu naturelle, mais reste alors loin d'être surfaite au degré courant à l'époque du muet.
Comme toujours les rares fois où Méliès les intègrent, les intertitres sont réduits au minimum (il n'en propose pas dans Voyage à travers l'impossible qui dure pourtant 20 minutes). Ils indiquent seulement le lieu et la date de chaque plan à venir. Le déroulement n'est donc pas toujours clair ou lisible dans le détail, en particulier lors de la dernière scène, au tribunal de Rennes, à la fermeture abrupte. Mieux vaut connaître des bribes de l'histoire avant de voir le film et aller ailleurs pour avoir un aperçu plus que très généraliste (surtout qu'il ne s'agit que ici que de la première phase de l'affaire, achevée en 1906 – et prolongée jusqu'à 1908 grâce à la participation de Louis Grégori).
Pathé s'empressera d'imiter Méliès et proposera sa version filmée de l'affaire, en sept parties (d'Arrestation à Sortie du conseil de guerre – 1899). Enfin Méliès a fait d'autres films 'hs' par rapport à son style : la 'reconstitution anticipée' Le Sacre d'Edouard VII (1902), Panorama pris d'un train en marche (1898), le faux documentaire Éruption volcanique à la Martinique (1902).
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