Quand le conte s'attaque au cinéma
A la toute fin du générique, le réalisateur dédie le film à ses filles, accepte de leur « raconter cette histoire encore une dernière fois mais après... au lit ! ».
Il y a des réalisateurs qui prennent les choses à la légère. M. Night Shyamalan n'en fait pas partie. S'il vous fait comprendre que c'est un conte, alors ce sera avant tout un conte.
Ce film n'est pas réaliste, et encore moins crédible.
La société contemporaine n'interfère jamais avec les personnages durant le film. Le temps semble s'être arrêté et jamais on ne quitte l'espace du conte : la résidence immobilière avec sa piscine et son concierge. Il y a certes bien la discothèque qu'on entend par l'entremise du téléphone portable de la maman chinoise, et aussi la foule venue nombreuse pour faire la fête et écouter le concert de rock. Mais cette présence de l'extérieur est désincarnée, comme reléguée à une dimension parallèle. Elle est atone.
L'histoire qui nous est racontée s'articule autour de quatre figures contrastées : la grand-mère chinoise qui connait les contes orientaux à raconter aux enfants ; un concierge dévoué corps et biens à ses voisins parce qu'il n'a pas su être là pour sauver sa famille d'un assassinat (et ne souhaite pas en parler) ; un penseur (du changement politique) manquant de considération pour soi et ses écrits ; le critique de cinéma qui « a l'arrogance de prétendre savoir ce qu'un autre individu souhaite faire ».
C'est alors qu'apparaît une nymphe et elle est en danger. Son rôle est évident : rendre la parole au concierge, soutenir les croyances transmises par les histoires de la grand-mère, redonner confiance au penseur/écrivain, et contredire les certitudes du critique sur la vie et l'imagination.
L'avantage avec un film si peu réaliste c'est que sa façon de traiter le critique du cinéma est légitimée par sa façon de traiter le cinéma : il n'est pas question de retranscrire la réalité, donc tout d'un coup avec ce film l'ambition du cinéma pourrait très bien être de la pure pensée, la défense d'un pur idéal philosophique, à savoir l'espoir (pour le concierge), la foi (pour la grand-mère chinoise), la confiance en soi (pour l'écrivain et penseur) et l'absence de calcul (avec la critique du critique de cinéma), et tout cela par l'usage d'un mythe asexué (la narf, nymphe des eaux qui demande la collaboration des humains pour la protéger en échange de tous ses bienfaits, énumérés plus haut).
En effet, si j'aime tant La jeune fille de l'eau en ce jour, c'est que j'en suis à un moment de ma vie où il me manque l'espoir, la foi, la confiance en moi et l'absence de calcul, comme la plupart des gens, mais aussi où j'en suis venu à me poser beaucoup de questions sur la capacité du cinéma à retranscrire fidèlement la réalité. Il y a tant de dégradations de la réalité entre l'observation d'un fait, sa mise en scène et le souvenir qu'en gardera le spectateur, qu'il est dans la plupart des cas illusoire de croire qu'on découvrira le monde via le cinéma (cf mon texte de présentation dans mon profil). Si l'on apprend quelque chose de la réalité par le cinéma, c'est uniquement via la mise en scène, via l'expérience sensible traduite par de grands cinéastes comme Philippe Grandrieux (pour prendre un exemple parmi tant d'autres). Tout ce qui est du domaine de l'expérience sentimentale, morale et intellectuelle doit se vivre personnellement pour faire partie du patrimoine personnel. Il faut vivre !
La jeune fille de l'eau est un film humble car ce n'est qu'un conte. Mais c'est justement pour cela qu'il assume parfaitement ses objectifs : rendre aux hommes le goût de vivre avec candeur, ce goût dont la représentation cinématographique les avait dépossédés.