Alors qu'on aurait pu imaginer qu'Eastwood se pencherait sur le projet rumeur Impossible Odds, après avoir rendu hommage aux héros du Thalys avec un très bon et honnête Le 15h17 pour Paris, il n'en est rien. Le nouveau projet, en plus d'être surprenant à son annonce, l'histoire d'un vieil homme transportant de la drogue pour un cartel, sujet inédit dans le cinéma de Clint, la plus grande nouvelle ne pouvait qu'être évidement son retour devant la caméra.



Mémoire de notre père



The Mule m'a séduit instantanément, encore une fois, mon amour pour le travail du vieux Clint a forcément pris le dessus, puis arriva le trailer tant attendu, qui par son montage crescendo, sa musique et sa force m'a fait monter les larmes.
A 88 ans, Clint Eastwood, à l'opposé total des rôles qui l'ont fait connaitre, que ce soit L'homme sans nom ou L'inspecteur Harry, plonge tête la première dans le rôle de ce vieillard horticulteur dépassé par la technologie, qui n'a consacré sa vie qu'à son travail, omettant sa famille et finissant par faire la mule pour un cartel avant d'être attrapé par la DEA.


Quelque part, cet Earl Stone, inspiré du réel Léo Sharp, est un antagoniste sans le vouloir, pour sa famille comme pour les forces de l'ordre, alors qu'à nos yeux, c'est simplement un grand père (d'où le surnom 'Tata') inoffensif et en total perdition.
C'est ainsi donc que le film prend vie, littéralement, le parallèle entre l'histoire du personnage et celle d'Eastwood est là, on comprend mieux pourquoi l'homme qui n'avait pas posé un pied devant la caméra depuis 2012 avec Trouble with the Curve, le pointe maintenant. L'acteur qu'on croyait promis qu'à la réalisation ose un retour, un grand et beau retour, devant l'écran comme sur ses fautes.
Le pardon, les regrets et la famille, Clint, cet américain, bourreau de travail, père de huit enfants, tous de parents différents, n'a jamais été un papa modèle, il le sait, un peu trop tard certes mais il l'a compris et s'en excuse à travers ce qui l'a accaparé toute sa vie, son travail, son œuvre, quel beau message tout de même. Peut être involontaire, mais bien là.



American Filmer



Après un fantasme musical assouvi avec l'excellent Jersey Boys, puisque son projet d'un remake d'A Star is Born n'a pas abouti, ce que son ami Bradley Cooper assouvira à son tour quelques années plus tard. Le cinéaste a alors commencé à se pencher sur la question du "héros", "Américain" plus particulièrement, on lui a assez reproché d'ailleurs, l'homme est Américain, lui reprocher de questionner ou de rendre hommage à des gens de son pays, c'est quand même bien bête.

Il commence en 2015 avec l'incroyable American Sniper et poursuis l'année suivante avec la claque Sully. Le reproche publique de ne plus faire que ça a pris toute son ampleur avec le troisième de cette série, Le 15h17 pour Paris, même si à mon sens, ce dernier ne questionne pas les mêmes points.
Que pouvait ensuite faire la légende ? Continuer sur sa lancé ou renouveler une fois encore son cinéma ? Rien n'est plus approprié que le mot "renouveler" quand on parle de son nouveau bébé. The Mule, au-delà d'être un parallèle sans chichi et honnête de sa personnalité, apporte un vent de fraîcheur à sa filmographie. Car au-delà de l'homme marqué qui obsède la caméra de tous ses plans, ce film respire la jeunesse et la nostalgie, deux sentiments à l'opposé parfaitement mixés. La modernité des décors, entres véhicules de luxes, bons gros pick up, smartphone et j'en passe, côtoyés par du vieux jazz, des manières à l'ancienne et un générique à la typo style 80's/90's, cet Eastwood prend le neuf en jouant au vieux, si j'ose dire.


Yves Bélanger, directeur de la photographie cher à un certains Jean-Marc Vallée officie à l'image de ce nouvel Eastwood. Tom Stern, son fidèle depuis de longues années laisse sa place. D'où la sensation d'un renouveau, la collaboration est-elle réellement finie, Clint voudrait-il passer à autre chose que cette aura sombre et métallique qui peint ses films depuis un peu moins de vingt ans ?
Quoiqu'il en soit, Stern reste un très grand DP et aura fait un travail somptueux aux côtés du cinéaste.
Bélanger apporte ainsi un éclairci à son œuvre, plus lumineux, peut être aussi pour effacer les zones d'ombres d'un homme peu présent qui se repend, une bien belle manière de voir les choses à mes yeux.


Si The Mule renouvelle quelque part le cinéma de l'Américain, il fait écho, tout comme la critique présente sur la superbe affiche du film le cite, à un autre film du monsieur, du même scénariste, Nick Schenk, l'évident Gran Torino, le dernier film pour lequel il s'est lui-même mis en scène. Si ce chef d'œuvre de 2008 possédait son aspect testamentaire avec un sublime passage de relais à la jeunesse, il est rejoint sur ce point par ce nouveau long métrage où le pardon prend forme et où la jeunesse, incarné par son ami proche Bradley Cooper prend en quelque sorte le flambeau.
Ce n'est pas pour rien que Cooper est devenu réalisateur, que Clint a produit son film et qu'il s'agissait d'un projet avorté de ce dernier, tout fait forcément écho désormais.
Au-delà des apparences et des rapprochements, Earl Stone est bien différent du vieux ronchon qu'était Walt Kowalski, et pourtant les deux furent vétérans, comme si nous avions en face de nous les deux facettes d'une même pièce.



A Mule is Born



Eastwood livre certainement avec le personnage d'Earl Stone, sa plus belle performance d'acteur. Habitué des grandes gueules et des vieux ronchons, il semble ici s'amuser comme un gamin à glisser des vannes qui font mouches quand de l'autre il semble subtilement aux abois dans les moments dramatiques et dangereux.
S'il a l'habitude d'être efficace et de ne pas perdre son temps à la mise en scène, il en va de même avec le jeu, il fait parfaitement ce qu'il a à faire et passe à autre chose, d'où la richesse du métrage et cette exécution sans fioriture. Si certaines situations peuvent paraître expédiées, le message lui est toujours bien véhiculé.
The Mule est donc un superbe Eastwood, frais et captivant, un thriller dramatique librement inspiré d'une folle histoire vraie.


Pour l'accompagner dans ce road movie rédemptionnaire, il fait appel à du beau monde, en commencent par les nouveaux venus : Dianne Wiest, Taissa Farmiga ou encore l'exceptionnel Andy Garcia, qui semble prendre un plaisir fou à partager quelques scènes avec son réalisateur.
Pour les retours, Laurence Fishburne, Michael Peña, Bradley Cooper et Alison Eastwood, qui joue pour la quatrième fois sous la direction de son père.
Le rapport entre les regrets familiaux cités plus haut et le fait qu'Alison joue la propre fille de son père dans le film ne fait qu'accentuer le parallèle vie/histoire.


Bref, tout le film ne peut se résumer qu'à comparer Clint et son personnage, le parallèle est certes évident et donne du corps au métrage, mais le film en lui-même reste réussi et tient debout. Sous sa mise en scène au classicisme toujours si bien construit, Eastwood réserve un drame intime sur la vie et ses erreurs, qu'on espère tous pouvoir un jour réparer.

MC™

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