C’est au départ une carte postale animée. Une carte postale suave, saturée, dont on devine l’intensité (la texture de la pellicule donne à « sentir » l’atmosphère). On sent aussi, pas tant le pitsch autour du petit étudiant venu donner matière à son idéalisme naissant, mais plutôt la balade initiatique du touriste bourgeois et benêt venu se faire un album de souvenirs et éventuellement grandir (c’est un fils à papa qui veut changer de décors). Naturellement, c’est un conte macabre et cette arrivée dans un paradis offert et exotique contraste avec la noirceur absolue, seule nuance qui dominera bientôt. A l’euphorie se substituera l’enfer et le déracinement, lorsque le jeune héros se retrouve otage.

Venu pour prodiguer des soins à des populations déshéritées, le jeune docteur incarné par James McAvoy devient, suite à une rencontre improbable, ami personnel du nouveau leader national. Il goûte au sentiment de puissance et de plénitude qui galvanise le colosse dont il est l’assistant. Puis se trouve ainsi embarqué dans la fuite en avant de Amin Dada. Le film donne le vertige, d’ailleurs le portrait du dictateur, malgré ses nuances, réussit à être fascinant. Car Amin Dada est sincère lorsqu’il parle à son peuple, mais il aime tout autant le faste et le sentiment de liberté absolue que lui offre son statut ; sa confiance et son ascendant naturels trouvent ainsi écho dans cet état de fait partagé de tous. Dès lors, Amin Dada est appelé à se confondre dans une omnipotence psychotique, que ceux qui ont cru être ses maîtres ont préparé.

En quelque sorte, c’est un juste retour de bâtons dans les dents des colons contemporains, mais c’est aussi l’incarnation de toutes les déviances qu’ils ont, plus ou moins directement et consciemment, encouragées. D’ailleurs, non seulement celles-ci plombent, encore et toujours, les citoyens de ce monde-là, mais en plus ce laxisme traduit le mépris des occidentaux pour leurs homologues, voir même pour les autochtones des nations que eux peuvent fouler sans se justifier.

Il ne serait pas absurde, a-priori, de taxer le film de « racisme ». Même si l’argument apparaît spontanément abusif et hors-sujet, il faut bien admettre qu’avec Le Dernier Roi d’Écosse, l’Afrique reste aux yeux du néophyte une cause désespérée empêtrée avec ses dictateurs. Par ailleurs, The Last King of Scotland est potentiellement suspect de jouer sur des notions de camp du Bien & du Mal, le métrage s’achevant d’ailleurs sur l’alliance informelle du leader ougandais avec les résistants palestiniens.

Mais le sujet n’est pas géopolitique, il est davantage culturel et éthique et rappelle un malaise de civilisation ; le chaos semé par Amin Dada est assisté, presque labellisé par les acteurs internationaux. Car si ceux-ci se permettent d’être condescendants et de donner la leçon, c’est eux qui sèment la discorde et amènent le chaos en installant des personnages corrompus. Petit histrion cynique et blanc dégénéré, Roman Polanski campe avec brio cette ignominie.

Le racisme à l’œuvre ici est viscéral et historique, presque naturel et institutionnel (le mépris de race est presque un code de bonne conduite), c’est celui de ces colons européens persuadés qu’en lâchant un loup aux dents lissées, inexpérimenté et immature, ils pourront manipuler sans entraves ce qui ne leur revient pas (Amin Dada est placé à la tête de l’État Ougandais par le gouvernement britannique). Non seulement ils ne font que renforcer l’appétit d’un hédoniste revanchard, conscient de sa piètre condition originelle et sûr que son non-conformisme lui a ouvert toutes les portes, mais de plus ils permettent l’hégémonie de son « narcissisme » sur le réel… là ou le bât blesse, c’est lorsque Amin Dada n’est pas seulement un homme, mais qu’il est un Ougandais.

Lorsqu’il se met à épurer l’élite et vise l’unification des forces nationales, derrière sa figure de grand chef charismatique, il est irrationnel mais cohérent, noble même (et c’est ce qui retient et évite le doute au médecin). C’est un homme enfanté par une Nation qu’aujourd’hui il restaure ; comment briser un cercle vicieux si son leitmotiv est aussi légitime et héroïque ? La conséquence naturelle, c’est le renouvellement de cette attitude paternaliste immonde de forces extérieures s’accaparant un pays. C’est souvent ainsi ; un groupe de bandits s’associe à l’extérieur pour piller des ressources qui ne sont pas sa propriété ; et un ennemi intérieur fabriqué par des subversifs, parfois locaux, vient saper la fierté et la cohésion d’une communauté.

L’autre enjeu du film concerne la relation entre le Tyran et son sbire privilégié. Kevin McDonald filme une addiction réciproque, teintée de rapports ambigus, entre la rencontre père/fils, savant/exécutant, self-made-man/alter-ego décisif. Il y est aussi question de masochisme, de doute, de déni et de « tentation », de se laisser aller aux vices dangereux (aspect assez trivial et pompeusement assimilé) comme à se bercer d’illusions au nom d’une place au premier rang si confortable qu’on en est devenu dépendant.

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Zogarok
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le 1 févr. 2015

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