Le Relais
Le Relais

Court-métrage de Jeanne Tachan (2020)

Pas plus tard qu'aujourd'hui, je suis allé voir « Les Traducteurs », le second long-métrage de Régis Roinsard, l'un des rares films ayant un peu d'intérêt dans le catalogue outrageusement conciliant et peu audacieux du multiplex voisin - la diversité de l'offre cinématographique est un réel problème dans les campagnes françaises, le cinéma de quartier distribuant exclusivement des films d'auteur le plus proche de chez moi est atteignable en 25 minutes de voiture puis 15 minutes de marche dans les meilleures conditions de circulation. La séance n'a pas encore commencé. Soudainement... entre les publicités de merde pour des entreprises locales de merde, les bandes-annonces de films de merde à venir et les spots de merde - cela fait beaucoup de merde quand même - de la campagne communicationnelle très agressive des super-marchés Aldi qui tentent de faire croire à la Génération Z que leurs magasins ne sont pas des grandes surfaces et qu'ils sont autre chose qu'un sous-Lidl... est diffusé ce court-métrage.


En soi, l'idée de faire passer un court-métrage de quelques minutes avant un long-métrage à l'instar des séries B des années 1930 et 1940 me séduit beaucoup, d'autant plus que cette pratique est extrêmement rare de par chez moi. C'est clairement préférable aux insupportables sempiternelles 20 minutes de publicités et de bandes-annonces qui n'apportent rien hormis la certitude que l'on ira pas au cinéma la semaine d'après au vu du programme. Cependant, pour une première fois, j'aurais préféré que le court-métrage diffusé soit quelque peu... intéressant. Oui, intéressant. Quelque chose qui puisse être analysé, décortiqué, observé et admiré pour sa technique. Malheureusement, « Le Relais » ne m'a paru être qu'une vile et vaine tentative de réaliser un projet sans réflexion aucune, ni sur le fond ni sur la forme, tout en surfant sur l’esbroufe qu'est le récent pseudo-mouvement de pensée populaire « OK Boomer ».


Intrigué, j'ai appris qu'il s'agissait d'un très-court-métrage en compétition pour la 10ème édition du Nikon Film Festival - rien du tout en soi -, avec pour thématique : « Une Génération ». Le thème choisi est assez vague, mais au vu des tendances médiatiques actuelles, on a rapidement deviné vers quoi cela allait se tourner, et ça n'a pas loupé. La comparaison avec la 15ème édition du Mobile Film Festival est inéluctable, dont le niveau était très bas de plafond. Cette année est décidément l'année de la pseudo-créativité engagée, c'est bien triste pour notre cher cinéma, mais également pour notre culture qui se meurt.


Le problème de ce court-métrage, outre la banalité de sa mise en scène et de son écriture, est le fait qu'il se contente de surfer sur ce qui n'est rien de plus qu'un simulacre, une fausse idéologie née il y a un mois et demi sur Internet de la main de chômeurs-fabricants de mèmes. S'il fallait décrire au mieux « Le Relais », je dirais qu'il s'agit tout simplement de la mise en scène sur support cinématographique de ce que peut représenter l'expression « OK Boomer » pour ceux qui l'utilisent. Une caricature de 140 secondes à but de propagande puisque le sujet traité est ostensiblement orienté et ne laisse aucune place à l'ambiguïté ou la remise en question, et ce n'est pas une basse velléité à dissimuler cela derrière le filtre de l'humour qui changera quoi que ce soit. Ce projet est carnavalesque, tout comme le postulat sur lequel il se repose. Cette confrontation générationnelle - entre deux générations non mitoyennes qui ne se côtoient pas - sur cette piste de course est tout bonnement ridicule et n'a pas le moindre sens lorsque l'on prend 5 minutes pour réfléchir au problème.


D'un côté, la Génération Z, qu'ils sont beaux dans leur tenue d'athlétisme, prêts à se lever et à dominer le monde, les yeux plein d'espoir et de tendresse, si naïfs et ignorants de ce qui les attend ; et de l'autre, les babyboumers - orthographe rectifiée de 1990, nous parlons français sur SensCritique -, si pathétiques, si médiocres, ce qu'ils sont faibles et incapables, ils sont lents et maladroits, il y en a même un qui se perd... et puis le coup du tas de bouteilles en plastique jetées à terre... la subtilité est repartie chez elle la queue entre les jambes. Qu'il est facile et confortable pour toute une génération qui a baigné dès sa naissance dans le confort matériel, la technologie numérique et la consommation de masse de renvoyer tous les maux de notre monde au visage d'une autre génération, tout en omettant qu'entre babyboumeurs et Génération Z se trouvent deux autres générations bien implantées dans toutes les strates de la société occidentale.


Il est très aisé de dire que c'est toujours de la faute des autres pour se déculpabiliser et oublier sa propre médiocrité. Il est plus compliqué d'admettre ses erreurs et de reconnaître que, comme tout être humain, nous sommes faillibles, imparfaits et égocentriques. En attendant, si l'on s'amusait à observer les parts que représentent chaque génération dans l'achat et l'usage des produits de grande consommation, je suis presque certain que la Génération Z serait en haut du podium. Peut-être que les politiciens, les chefs d'entreprises, les hommes et femmes d'affaires, les hauts fonctionnaires, les banquiers... qui dirigent ce monde sont essentiellement des babyboumeurs et des individus de la Génération X, mais faisons attention aux jugements hâtifs et aux sophismes, car la question qu'il faut se poser est la suivante : toute cette pollution, toute cette exploitation, toute cette destruction, tout ce pillage... toutes ces choses qui rongent ce monde afin de produire des biens et services de grande consommation, pour qui sont-elles faites ? À qui sont destinés ces produits ?


Parce-qu'il est fort accommodant d'accuser sans argument celui qui produit et de se complaire dans la situation de la victime innocente sans une once de responsabilité, mais celui qui produit ne le ferai pas si personne n'attendait rien de lui. En définitive, il y a une offre car il y a une demande, et c'est la demande qui régule l'offre. Et donc... qui consomme en masse les produits les plus polluants, les produits ayant le pire impact humain et écologique ? Qui ne peut pas s'en passer ? Qui est-ce qui accuse une génération d'avoir mis en place un confort matériel - certes, devenu excessif - à une époque où la vie était rude mais qui en retour ne peut concevoir d'y renoncer ? Qui achète chaque nouvel iPhone et possède tablettes et ordinateurs portables ? Qui détient 12 paires de sneakers et les derniers vêtements à la mode, victime du fast-fashion ? Qui va bouffer au McDo trois fois par semaine avant d'aller s'abrutir devant « La Reine des neiges » ou « Avengers » ? Qui se fait livrer des sushis par Deliveroo tous les soirs de la semaine ? Qui ne peut s’empêcher de passer ses journées devant son smartphone à publier sa vie de merde et à envier la fausse vie des autres sur des sites de réseautage en ligne (Facebook, Twitter, Instagram...) quand on sait que l'Internet mondial est le troisième plus gros consommateur d'énergie derrière la Chine et les États-Unis ? Posez-vous la question, réfléchissez et demandez-vous qui peut bien entretenir un tel système et le faire perdurer. Génération Z ou Babyboumers ? Cela semble pourtant évident.


C'était long et douloureux pour un mauvais court-métrage de 2 minutes mais je ne pouvais décemment pas laisser passer un tel acte d'hypocrisie, de dissonance cognitive et de paresse intellectuelle. Même si l'image est correcte, que la musique est très bien composée et que, globalement, cela est d'une meilleure qualité technique que les horreurs proposées au Mobile Film Festival, l'ensemble de ce projet reste quelque chose d'intellectuellement très faible. La mise en scène, elle aussi, n'est pas mauvaise, seulement convenue et sans originalité, mais le peu que l'on pouvait essayer de sauver est indubitablement anéanti par la mauvaise foi de la démarche et la lourdeur de la thématique. Il n'y a absolument aucune prise de risque, aucune inspiration, le sujet est directement pompé sur un soupçon d'idéologie digitale, copiant au mot près l’infâme et perfide accusation lancée par le péremptoire « OK Boomer ».


Comme dit précédemment, il n'y a pas de place pour la remise en cause, pour la réflexion ou bien pour la prise de recul. Ce n'est pas drôle un seul instant tant c'est caricatural et malhonnête. User d'un pseudo-ressort comique pour passer la pommade au spectateur afin de lui faire avaler la pilule ne fonctionne pas. Cela ne trompe personne, ou peut-être les plus faibles d'esprit. C'est un discours unilatéral, un dialogue à sens unique où certains individus d'une génération s'amusent à accuser de certaines choses d'autres personnes qui n'ont pas le droit de se défendre. C'est de la propagande pure et dure mais fort peu subtile, sans contestation possible, à l'image du mouvement sur lequel se repose (entièrement) ce court-métrage :



Nous affirmons cela sans aucune preuve ni aucune honte, mais cela est désormais une vérité universelle et indiscutable ; ce n'est pas de notre faute mais de la votre, et de toute façon, à tout ce que vous pourrez répondre, à tout argument que vous pourrez présenter, nous répliquerons « OK Boomer », et cela nous donnera toujours raison.



La Génération Z, XOXO bisou XD PTDR LOL


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le 6 févr. 2020

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