faites ce que je dis, pas ce que je fais

Résumé: un guru hypocrite, Tartuffe, s'infiltre dans une maison et exerce une emprise sur le propriétaire, Orgon. Sa bonne, son fils, sa femme, son beau-frère tenteront de le prévenir et lui faire ouvrir les yeux sur ce diseux qui se dispense d’appliquer les conseils qu’il donne.

France 5, Pierre Arditi et Jacques Weber me donnent l'occasion de relire et voir cette pièce de 1664, pas revue depuis le lycée...et qui m'amuse mieux encore en 2019, tant ses personnages nous sont encore contemporains:
_je pense au fait divers récent d'une famille Bordelaise spoliée de tous ses biens par un "ami" de la famille: des de Védrines vivaient reclus, manipulés par un soi-disant "agent secret" devot.

"De toutes amitiés il détache mon âme; Et je verrais mourir frère, enfants, mère, et femme, Que je m'en soucierais autant que de cela." (I,5)

_je repense à Theoreme de Pasolini où un homme est aussi accueilli dans une famille mais où il ne séduira pas là que le père mais tous les membres les uns après les autres...il couche avec la bonne, la fille, la mère, le fils et le mari…
D'ailleurs certaines mises en scène de Tartuffe l'ont montré violant la fille d'Orgon et d'autres où Orgon est sexuellement attiré par le caméléon.
_je pense au Livre de la Jungle? avec Kaa---rrtuffe?
Une famille, un serpent lové en son sein

Aie confiance Aie confiance Aie confiance, crois en moi, que je puisse veiller sur toi...

...pour tirer à la ligne comme eux et pour un peu pasticher Jacques Attali et Michel Houellebecq : voilà en plein milieu de pourtant 'mon' texte, un extrait de Wikipédia, comme ils font:
Faites ce que je dis, pas ce que je fais: "Cette expression a son origine dans l’Evangile selon Saint-Matthieu(chapitreXVIII,vers2&3) :
"Omnia ergo quaecumque dixeri vobis servate et facite : secundum opera vero eorum nolite facere ; dicunt enim et non faciunt",
c'est à dire :

Observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas"

.> Wasser predigen und Wein trinken
disent les Allemands??? ...prescrire aux autres de l'eau, se gaver de vin soi-même...Un peu comme si un Sénat Français prônait des économies sociales mais détournerait impunément des fonds publics en des séries de petits chèques qu'ils se font pour augmenter leurs revenus???

Mon personnage préféré est la bonne, Dorine (excellente Manon Combes): où je retrouve le bon sens et l'efficacité en coulisse du majordome Jeeves/Dorine du si drôle PG Wodehouse
.

Blasphème! semble dire Orgon:

Mon passage préféré a été le monologue du beau-frère, Cléante (Jean-Baptiste Malartre: très juste et belle voix) près du début (scène 5): il m'a fait rester devant ma télé ce samedi soir fatigué: il tente d'avertir Orgon…
...fatigué car je venais déjà de regarder en direct de l'Olympia mon ersatz de Molière en 2019, Bernard Mabille et ses 'bonnes' vannes chansonnières déjà bien suffisantes et adéquates à mon niveau culturel.

Fatigué mais je suis resté tant ce Cléante et ses monologues m'ont donné des frissons.

Il tente d'avertir Orgon mais plus exactement, il réagit d'abord lorsqu'Orgon l'accuse, lui, de blasphème, de manque de respect pour tout ce qui touche à ses choses et choix religieux
et ensuite ,autre défense d'Orgon, autre énormiiiiiiiissime culot, il l'accuse d'être, lui, un prétentieux, un "Monsieur-je-sais-tout" condescendant:
...en très très gros, si 'T'es pas d'accord avec moi ou mon ami Tartuffe mon sorcier, mon guru, mon prophète, mon astrologue, mon devin Tullius Détritus, mon Jedi', c'est que tu blasphèmes ou/et que tu es un condescendant suffisant...

Cléante:
"Voilà de vos pareils le discours ordinaire. Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin(blasphémateur), que d'avoir de bons yeux; Et qui n'adore pas de vaines simagrées, N'a ni respect, ni foi, pour les choses sacrées. Allez, tous vos discours ne me font point de peur; Je sais comme je parle, et le Ciel voit mon cœur De tous vos façonniers on n'est point les esclaves, Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves (…) Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction Entre l'hypocrisie, et la dévotion? Vous les voulez traiter d'un semblable langage, Et rendre même honneur au masque qu'au visage?

Egaler l'artifice, à la sincérité; Confondre l'apparence, avec la vérité; Estimer le fantôme, autant que la personne; Et la fausse monnaie, à l'égal de la bonne?"
(…)
"Aucune chose au monde, et plus noble, et plus belle, Que la sainte serveur d'un véritable zèle; Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux, Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux; Que ces francs charlatans, que ces dévots de place" (merci toutmoliere.fr)
(…)
(mes modèles ne sont point des ) fanfarons de vertu, On ne voit
point en eux ce faste insupportable, Et leur dévotion est humaine.... Ils ne censurent point toutes nos actions, Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections,

Et laissant la fierté des paroles aux autres, C'est par leurs actions, qu'ils reprennent les nôtres.
L'apparence du mal a chez eux peu d'appui, Et leur âme est portée à juger bien d'autrui"
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"C'est par leurs actions, qu'ils reprennent les nôtres"=ils font ce qu'ils disent, ils montrent l'exemple

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Croire pour voir et non voir pour croire:

Comme Thomas, Orgon ne croit pas qu'il est cocu métaphysique; il veut voir pour croire que le dévot est un escroc. Alors encore une fois dans un film, une femme sauve son homme, façon scène du placard dans Blue Velvet. Elmire,(Isabelle Gélinas, jubilatoire), cache son mari Orgon pour qu'il la voit feindre d'accepter les avances de Tartuffe jusqu'à un certain point.
Il doit sortir de sa cachette une fois convaincue:...il lui en faudra du temps tant il est en déni.

Ecrite en 1664? je garde encore une impression qu'avec des convertis comme Orgon, on ne peut pas gagner, ils ont fausse réponse-à-tout, leur Chef de prière leur a lavé le cerveau avec une éloquence culbuto (ce hochet jouet qui frappé&renversé se redresse toujours et revient en oscillant)…
Pour ces convertis endoctrinés, comme Orgon, c'est qu'une fois qu'il voit de leurs propres yeux leur femme culbutée et leur maison saisie que les écailles leur tombent enfin des yeux ou*vert*s…mais un peu tard, Orgon n'a alors même plus la force de jurer qu'on ne l'y prendrait plus.
((Jacques Weber est d'ailleurs exceptionnel quand il joue Orgon mis KO par le chaos : une minute avant la révélation, Weber, ce géant physiquement aussi, me faisait encore penser comme d'habitude à mon armoire qui aurait été rendue vivante par les studios Ghibli
mais là, à sa fin, il réussit à paraître comme lyophilisé tant il se met à ressembler à un sac-sous-vide, son air comme soufflé par l'uppercut de découvrir qu'il a été le dindon d'une farce fourbe...Weber joue le crash psychomoteur, replié dans son fauteuil de manière inquiètement réaliste).)

J'ai trouvé effrayante cette scène d'huissier où Orgon est rendu amorphe, vidé...et je découvre que l'huissier qui vient vider le tout avec "sourire et sans haine" comme il dit (langage d’entreprise??) avait un papa "domestique dans la maison..." (revanche&vengeance de classe??)

Mais au contraire de cette belle fiction, j'ai du mal à croire à sa scène finale: le retournement où quand tout est perdu, un super-héros Jupitérien et des jeunes en Policiers, arrêtent et encagoulent l'escroc (à la façon d'ailleurs de l'arrestation du film Brazil ; astucieuse mise en scène de l'Allemand Peter Stein).