Oh, you believe in Jesus now, huh, bitch? Good, 'cause you gonna meet him!

Crucifiée, les yeux tournés vers une terre enneigée, une statue christique enclavée au sol observe de loin cette Amérique qui subit les cicatrisations cathartiques du clivage des contrées du Nord avec le Sud et de cette moribonde période post Guerre de Sécession, tout en se questionnant sur le degré de civilisation de cette époque. Dans cette proportion, il suffit de voir le visage entièrement ensanglanté du personnage de Daisy, rappelant celui de Carrie, pour apercevoir dans ses traits, quasiment, un animal sauvage. Qu’importe les armes utilisées par les foutraques du cinoche de Quentin Tarantino (les flingues de Reservoir Dogs, les katanas de Kill Bill, ou la batte de baseball de l’Ours juif d’Inglourious Basterds), leurs artilleries principales sont les mots. Alors que son amour sans complexe pour le cinéma d'exploitation peut parfois apparaître, pastiche ou grotesque, Quentin Tarantino continue la politisation de son art et emblématise la globalité de son cinéma, sans s’auto congratuler, pour en retirer une sève, aux usages schizophréniques, tant ce nouveau film s’avère plus sombre mais à la fois plus parodique, notamment dans sa capacité à faire rire de l’horreur, exagérée et outrancière.


Les 8 salopards, disons le tout de suite, est l’œuvre la plus horrifique de son auteur, par la présence du fantôme de l’œuvre de Carpenter (The Thing), malgré l’intimité touchante de sa scène finale. Dans son environnement de cowboys suintant à travers les pores de leurs gueules cassées, un chasseur de prime doit ramener une femme pour qu’elle soit pendue. Sauf qu’un blizzard empêche l’accès aux routes, et ce petit monde est obligé de s’arrêter dans une mercerie puant le traquenard et comblée de loubards bien louches. Les situations glauques se catapultent les unes après les autres, font échos à la cruauté humoristique des dialogues sur la séparation raciale, et aiguisent l’ambiance tendue d’un récit qui se parachèvera dans l’abondance d’hémoglobine la plus viscérale et grandiloquente de la filmographie de son auteur, proche de l’esprit d’un Evil Dead de Sam Raimi. Le film décoche une nouvelle facette du cinéma de l’américain, par le biais d’une théâtralité de boulevard qui s’abandonne dans sa folie rigolarde, grâce à une utilisation parfaite du 70mm, un casting au diapason et un montage de plan claustrophobe. Théâtralité qu’on avait entraperçue dans la scène du bar dans Inglourious Basterds ou le dîner à Candyland dans Django Unchained.


Les 8 salopards renait avec le nihilisme étasunien post moderne d’œuvres comme Reservoir Dogs et Pulp Fiction, et continue de tracer la voie de Tarantino, dans sa quête révisionniste fendarde, d’afficher ses histoires dans L’Histoire, et principalement à travers la récupération des combats des opprimés : que cela soit le Black Power de Django Unchained ou le Girl Power de Death Proof. Ces trames imbibent la puanteur acide de ce nouveau western horrifique, huit clos harassant et génial, qui s’articule autour d’un poker menteur en forme de Cluedo géant qui reprend la double lecture narrative de Reservoir Dogs : savoir qui sont les moutons noirs du troupeau et que va-t-il advenir de Daisy ? Pour se faire, Les 8 salopards se base sur un retour à un certain minimalisme de l’épure de sa réalisation, souvent iconique, et donne la part belle à des dialogues, qui malgré leurs nombres et leurs longueurs, ne contiennent aucun artifice connu du réalisateur. Chaque dialogue, chaque face à face accentue la précision de la combine et son avancée en puzzle, ce qui permet aux 3 heures de films de passer crescendo, sans baisse de rythme dans la mise en place de ses indices et la détermination de l’ensemble de ses protagonistes.


Non linéaire, cette construction narrative fait monter la pression, va voir les visages se vicier et les vérités difficiles à dire ressurgir dans un fracas dérangeant, comme nous le montrera le secret qui relie les deux anciens combattants que sont Warren et Smithers. Dans la première partie du film, qui précédera un deuxième acte d’une violence sans tabous (explosion inattendue de visages, hilarante de nihilisme macabre), cet humour profondément noir se nourrit d’un comique de situation et de gimmicks purement drolatiques qui s’incorporent parfaitement dans l’architecture visuelle du film. L’exemple le plus flagrant est ce duo, lié par les chaines, formé par Kurt Russel et Jennifer Jason Leigh, tous deux souvent hilarants. Lente au début du métrage, l'action se manifeste juste avant l'entracte, pour exploser, se vomir et finir sur un espoir pessimiste, nez à nez, avec une parodie cauchemardesque d’une justice ritualisée.

Velvetman
8
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le 6 janv. 2016

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Velvetman

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