The killers suinte la classe absolue dès ses premières secondes : c’est un carrefour nocturne qu’on croirait sorti d’une toile de Hopper, un diner dans lequel surgissent deux larrons qui vont, avec une faconde unique, entamer la conversation cynique et brutale conduisant à l’exécution de leur contrat. Travail sur le double espace entre cuisine et comptoir, caméra au niveau du zinc, répliques au cordeau, tension croissante, cette séquence est à faire entrer dans l’anthologie des ouvertures du film noir.
A l’autre bout du spectre, la cible attend passivement sur son lit qu’on vienne le cueillir, et c’est un simple rai de lumière sous sa porte qui nous annonce l’inéluctable.


Rideau.


Contrairement au développement qu’en fera Don Siegel deux décennies plus tard, c’est du côté des good guys (un assureur & un flic) que se met en place la remontée vers la vérité. Constituée de flashbacks remontant progressivement le temps, celle-ci s’acharne à faire surgir l’histoire d’un échec, celui du colosse fragile Burt Lancaster, qui encaisse pour les autres et se démène dans des intrigues qui ne sont pas les siennes.
La très belle scène de coup de foudre pour Ava Gardner, qui n’apparait qu’à la 36ème minute, en dit long sur son rôle : dans une oblique alignant les trois personnages, Burt délaisse la blonde du fond pour la brune qui chante au premier plan, subjugué, mais déjà entre deux, et emprisonné dans un rôle de second couteau.
Le magnétisme de la femme fatale est ici rendu par un traitement aux antipodes de la version suivante. Vénéneuse, Ava Gardner brille par une présence elliptique, et alors que tout le récit tourne autour d’elle, ses apparitions sont ménagées avec soin, de dos à une table, dans un hors-champ inattendu au cours d’une réunion de gangsters… En contrepoint de la remontée vers la descente aux enfers de Lancaster, un indice ironique se fait par le parcours du flic, son ami d’enfance ayant construit avec la femme qu’il a délaissée un modeste et authentique bonheur.
Si le recours systématique au témoignage pour le flashback n’est pas toujours de la même pertinence (notamment la confession délirante sur le lit d’hôpital d’un ancien complice, un peu trop téléphonée), le film conduit vers une escalade des confessions, dont le très beau duel avec Dum-dum où les récits se complètent lorsque le flingue change de main.


L’une des dernières séquences, dans le restaurant, boucle admirablement le récit : de l’intime tendu à la foule, du diner à la grande salle, elle épanche la fluidité d’un superbe mouvement de caméra qui concentre dans son travelling quatre personnages disséminés dans la cohue venus régler leurs comptes à coup de flingues.


The Killers ne se contente pas d’instituer les codes du film noir : par son sens du portrait, par la malice de sa narration, il se pose comme un film incontournable.

Sergent_Pepper
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le 23 avr. 2015

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