Lapisse
Quand il y repense, Harry a eu une enfance de merde. Môme, c'était déjà le mec qui se faisait remarquer pour de mauvaises raisons et ce, bien avant d'être ce type qui gomme tout les problèmes, tout...
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le 1 mars 2014
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[cet article, initialement paru dans LeMagDuCiné, n'est pas une critique du film Magnum Force mais un article plus général sur les personnages de policiers qui outrepassent les prérogatives de leur métier en se transformant en justiciers.
Ce texte comporte des spoils sur les films dont il traite.]
Dans l’univers du film policier, tout le monde connaît les bons policiers qui cherchent vaillamment les criminels (quitte à jouer à “bon flic/mauvais flic”). Nous pouvons aussi rencontrer des flics ripoux, ouvertement payés pour détourner le regard et envoyer l’enquête se perdre dans les choux. Mais il existe une autre catégorie de policiers : ceux qui, pour une raison ou pour une autre, décident de s’affranchir des lois qui réglementent leur profession et endossent le rôle du juge, du juré et, bien souvent, du bourreau.
Qu’est-ce qui peut pousser un policier à enfreindre les règles de son métier pour devenir un justicier ? Bien souvent, il y a le sentiment d’être entravé dans le déroulement d’une enquête. Si les exemples sont nombreux à partir des années 70 (époque où les personnages de flics "borderline" se sont multipliés), il est possible de remonter jusqu’aux années 50 pour rencontrer Dave Bannion, personnage principal du film Règlement de comptes (The big heat, 1953). Le cinéaste allemand Fritz Lang avait beaucoup réfléchi à la notion de justice lors de sa carrière états-unienne. Règlement de comptes est un de ses derniers films sur le continent américain. Il y retrace le parcours d’un policier modèle, aussi bien dans sa vie professionnelle que personnelle, qui doute de la thèse officielle au sujet du prétendu suicide d’un autre policier. Le problème, c’est que son enquête va être empêchée par des pressions exercées sur ses supérieurs hiérarchiques.
Et c’est là que s’affiche devant nous le schéma traditionnel qui va pousser un policier à sortir du cadre. Cela comporte, d’habitude, deux étapes : d’abord la naissance d’une notion d’injustice, car les criminels se sentent tout-puissants et à l’abri de la police. Dans le film de Fritz Lang, le tenancier d’un bar, que l’on sait être de mèche avec le gang de tueurs, s’amuse à humilier un Dave Bannion pourtant représentant officiel de la loi, mais incapable d’agir car il est muselé par des ordres de sa hiérarchie.
La seconde étape consiste, bien souvent, à subir des attaques personnelles lorsque le policier persévère dans son enquête.
Le film de Lang montre comment, petit à petit, face à un sentiment d’impuissance et d’humiliation, Bannion va se transformer. Le mari idéal va commencer à crier sur sa femme. La tension sera palpable. Et, finalement, il répondra à la violence par la violence. Dans le cas de Bannion, cette infraction des règles déontologiques policières est due à la colère. Elle ne résulte pas d’une idéologie réfléchie et affichée, comme nous pourrons le voir plus loin. C’est ici le résultat d’une série d’attaques personnelles.
Le sentiment d’injustice est souvent le plus cité pour motiver les actes de justiciers des policiers du 7ème art. Petit à petit va se développer l’idée que les lois servent avant tout à protéger les criminels, au détriment de la justice. Ainsi, dans Police fédérale Los Angeles (To Live and Die in L.A., de William Friedkin, 1985), un avocat (interprété par Dean Stockwell) se vante de pouvoir faire annuler un mandat d’arrestation sur le simple motif que la couleur de la maison, mentionnée sur le mandat, n’est pas la bonne couleur…
Les années 80 ont beaucoup joué sur l’idée d’une législation qui entrave le fonctionnement correct de la police. Parmi les exemples les plus représentatifs, il faut bien entendu citer la série L’Arme fatale. Ainsi, dans le deuxième film (Lethal Weapon 2, de Richard Donner, 1989), les deux policiers Riggs et Murtaugh affrontent des trafiquants qui se protègent derrière l’immunité diplomatique. Agir dans la légalité étant impossible, il ne leur reste que deux possibilités : ne rien faire, ou sortir du cadre légal.
Il est intéressant de noter que, là aussi, les attaques personnelles contre les deux policiers (dont la scène culte des toilettes piégées) vont servir de déclencheurs à l’action “hors-cadre” des deux protagonistes. Depuis le premier épisode de la saga, le spectateur sait bien que Riggs n’a pas besoin d’excuse pour dévier, mais, dans ce deuxième opus, cela prend vraiment l’ampleur d’une vendetta personnelle.
Il est aussi intéressant de noter le parcours de Murtaugh, l’exact opposé de Riggs. Père de famille, proche de la retraite, Murtaugh est l’exemple du policier qui n’a jamais fait un pas de travers. Pas une fois il n’est sorti des clous. Et pourtant (après, il est vrai, quelques hésitations), il va foncer avec son collègue, au mépris de toutes les règles régissant l’activité policière (y compris quand il s’agit de harceler l’ambassade sud-africaine).
Même en France…
Les policiers-justiciers ne sont pas l’apanage des Etats-Unis. Dans ces mêmes années 80, la France a connu aussi son lot de policiers qui deviennent des héros en enfreignant les règles de leur profession. Prenant, par exemple, Le Marginal, film réalisé par Jacques Deray en 1983. On y retrouve tous les ingrédients de cette catégorie de films. Jean-Paul Belmondo y interprète un policier qui a l’obsession d’arrêter un trafiquant, Mecacci, qui l’a humilié quelques temps plus tôt. Il est prêt à tout pour l’attraper, et cela commence par désobéir à ses supérieurs.
Parce que c’est une constante dans ce genre de films : les supérieurs mettent toujours des bâtons dans les roues des protagonistes. Représentants de cette bureaucratie qui ne connaît rien au terrain (et qui, parfois, a d’autres objectifs, politiques par exemple), ils s’opposent aux policiers-justiciers en cherchant à les faire rentrer dans le cadre. Pour eux, c’est une question de respect de l’autorité.
Négligeant ses obligations de services et laissant son supérieur hurler dans son coin, Jordan va donc continuer à poursuivre Mecacci, entraînant son collègue avec lui. Jusqu’à un final où il n’hésite pas à employer une méthode expéditive. Parce que, lorsque l’on ne peut pas arrêter les criminels légalement, alors il ne reste plus qu’à les abattre chez eux.
Justicier ou criminel ?
Il est bon de rappeler que les années 80 ont vu fleurir cette idéologie qui dit que, dans le meilleur des cas, les policiers sont incompétents, lâches, voire même corrompus, en bref qu’ils font tout pour laisser les criminels en liberté. Cela servira de base aux films dits “vigilante”, où des quidam décident de se faire justice eux-mêmes.
Généralement, dans ces films, l’action du justicier est glorifiée. L’important serait donc d’agir au nom d’une justice supérieure aux mesquines tergiversations humaines et administratives. Une “vraie” justice qui excuserait les écarts faits en son nom…
Mais tous les flics qui agissent ainsi ne sont pas présentés comme des héros, loin de là.
Sorti en 1985, Police Fédérale Los Angeles suit les pas d’un de ces policiers “borderline” qu’affectionne particulièrement William Friedkin. Menacer de balancer un suspect du haut d’un pont s’il ne parle pas ne dérange pas Richard Chance (incarné par William L. Petersen). Il insulte un juge qui refuse de lui signer un mandat, et il monte une arnaque pour soutirer à un trafiquant l’argent dont il aura besoin pour appâter sa cible principale. De manière générale, il trouve les règles trop restrictives, trop strictes. Il veut pouvoir enquêter comme il l’entend. Chance est un solitaire jusqu'au-boutiste qui ne reconnaît d’autre autorité que son bon vouloir.
Élément classique de ce type de film, notre policier-justicier est victime d’une obsession. Il est, ici, littéralement aveuglé par l’idée de poursuivre et d’arrêter un faux-monnayeur, Rick Masters, interprété par un formidable Willem Dafoe.
Seulement, dans ce film, Chance n’est pas du tout présenté comme un héros, et son action hors des clous de la légalité n’est jamais montrée comme positive. Chance devient ce type de flic plus dangereux que le criminel qu’il traque. Et surtout, petit à petit, se dévoile le portrait d’un personnage qui se complaît dans la violence. Après une course-poursuite où ils ont failli non seulement mourir des dizaines de fois, mais aussi tuer bon nombre de passants innocents, alors que son coéquipier est mort de trouille et totalement traumatisé, lui est exalté, comme après avoir sauté à l’élastique, comme s’il ne venait que de passer un bon moment plein d’adrénaline. Il insulte régulièrement la femme avec qui il couche et qui lui sert d’informatrice, la rabaissant sans cesse. Il insulte aussi ses collègues : pour lui, les autres flics sont tous “des connards”.
Après avoir tué un trafiquant qui était, en réalité, un agent infiltré du FBI, Chance est désormais recherché par la police. Le symbole est fort : celui qui se voyait comme un justicier est passé de l’autre côté de la barrière. Et il sera un personnage toujours plus malsain jusqu’au final du film.
Le cas Harry Callahan...
Ce sont les années 70 qui ont vu fleurir ces policiers atypiques, qui créent le malaise parce qu’ils sont à la fois des forces de l’ordre et du désordre. Si le Popeye de French Connection (William Friedkin, 1971) était déjà un flic très borderline, le cas le plus flagrant reste quand même Harry Callahan, dit Dirty Harry (Harry le Charognard en VF). Le premier film de la saga (réalisé par Don Siegel en 1971) nous montre un flic constamment en roue libre, déclenchant des fusillades en pleine rue, mettant la population en danger et, finalement, très comparable au criminel qu’il recherche.
Le deuxième film (Magnum Force, réalisé par Ted Post en 1973) va plus loin dans le trouble. En effet, Harry Callahan, qui a sa conception toute personnelle et plutôt radicale de l’action policière, va se trouver confronté à… un groupe de policiers qui exécutent sans vergogne les truands ayant échappé à la justice. Des policiers qui, de surcroît, ne cachent pas leur admiration pour Callahan, considéré comme une de leurs sources d’inspiration. Ces jeunes flics, finalement, poussent plus loin la logique du policier-justicier prônée par Callahan.
Magnum Force est sans doute l’un des films qui posent le plus nettement la question de la frontière entre l’action policière et l’auto-justice.
Cette pratique qui consiste à suppléer aux défaillances de la justice au nom d’une conception supérieure accompagnera Harry Callahan durant les cinq films de la saga, mais trouvera une mise en pratique plutôt étonnante à la fin du quatrième film, le seul réalisé par Eastwood lui-même, Le Retour de l’Inspecteur Harry (Sudden Impact, 1983). Envoyé dans une petite ville (avec un chien inénarrable), Callahan va être confronté à une série de meurtres commis par une jeune femme qui se venge de ceux qui l’ont violée. Et il choisit, en toute connaissance de cause, de laisser partir la meurtrière et, donc, de la soustraire à la justice. Ainsi, le rôle de justicier, que s’arroge Harry, ne consiste pas uniquement à punir ceux qui, selon lui, le méritent, mais aussi à gracier certains criminels.
… et celui de Max
Certains policiers ont tellement envie d’arrêter des criminels qu’ils ne veulent même pas attendre que ceux-ci commettent des crimes. C’est le cas de Max dans le très beau de Claude Sautet Max et les ferrailleurs (1971).
Max est un policier plutôt froid, calculateur. Prendre momifié. Si peu vivant qu’il ne porte même pas de nom de famille. Et, comme tous les policiers rencontrés dans cet article, il en a marre que les gangsters échappent à la justice. Aussi, après l’échec d’une énième tentative de les attraper en flagrant délit, il décide d’agir autrement. Il va se choisir un petit gang de ferrailleurs. Des hommes un peu bohèmes qui volent du cuivre pour le revendre au noir. Du menu fretin. Et, indirectement, Max va les amener, petit à petit, à accepter l’idée de commettre un hold up dans une banque.
Qu’on ne s’y trompe pas : si Max cherche à tout prix à arrêter un gang en pleine action, ce n’est pas pour satisfaire une quelconque politique du chiffre. Il faut plutôt voir là l’ambition démesurée d’un homme qui a le crime en horreur et qui voudrait que tous les criminels puissent subir de lourdes peines, quelles que soient leurs fautes. Pour Max, ces ferrailleurs, avec leurs menus larcins, sont déjà un gang digne d’être arrêté, et il ne comprend pas que la justice ne condamne pas à perpétuité des gens qui volent du cuivre… C’est donc pour qu’ils puissent obtenir cette peine maximale qu’il concocte ce plan. Max est un homme “entier”, pour lequel il n’y a pas de compromission possible.
Il y a, finalement, un dernier exemple, un peu limite peut-être, mais que l’on pourrait faire entrer dans cette catégorie : le cas du policier qui n’a pas d’autre choix, parce que s’il ne fait pas justice lui-même, alors c’est lui qui sera condamné. C’est le cas de Marc Ferrot, inspecteur de police à Orléans (Yves Montand, dans le film d’Alain Corneau Police Python 357, 1976). Il devient l’amant d’une jeune photographe, sans savoir que celle-ci fréquente déjà, dans le plus grand secret, le commissaire Ganay (qui n’est autre que le supérieur hiérarchique de Ferrot). Ganay assassine la jeune femme. Plus l’enquête avance, plus le faisceau de preuves va désigner Ferrot comme coupable.
L’inspecteur se retrouve donc dans une situation où il ne peut pas faire confiance en la police, en ses propres collègues. Les policiers sont convaincus d’avoir leur coupable, ils n’iront pas chercher plus loin. Personne ne soupçonne que la photographe avait deux amants, donc personne ne cherche “le deuxième homme”. Ferrot n’aura donc d’autre choix que de se faire justice lui-même en enfreignant toutes les règles déontologiques de la police.
Entre héroïsation du justicier solitaire qui ose s’élever contre le crime, ou portrait froid et sévère du flic qui sombre dans la violence, l’image du policier-justicier varie mais son portrait-robot reste cependant identique.
Le policier-justicier est un homme solitaire, souvent porté sur la violence. Il a un problème avec sa hiérarchie, à laquelle il désobéit régulièrement ; il s’oppose d’ailleurs à toute forme d’autorité qui va à l’encontre de ses principes (et comme ses principes ne respectent pas les règles de bonne conduite policière, cette opposition s’applique envers quasiment tout le monde). Enfin, il est convaincu d’être dans son bon droit et d’agir dans l’intérêt d’une “vraie” justice, supérieure à celle du pays, qu’il juge au mieux complaisante, voire corrompue.
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le 27 janv. 2021
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