Serge a toujours eu du mal. A réparer les portes, à passer un caddie entre deux voitures, à garder un boulot. Ça coince, ça bloque, ça dérape.
Il porte avec lui, sous ses airs d’épais taiseux, une déprime longue et grasse comme sa tignasse. Le monde qui l’entoure la justifie amplement : on y tâte les macchabées avec sa baguette au Super U, on y encaisse la violence du marché du travail, on cherche des bulles d’oxygène où l’on peut : dans les souvenirs, ou sur le bitume d’une nationale.
Serge s’en va vers son passé pour que son présent de retraité soit financé. Rivée à son dos, embarquée sur sa bécane, la caméra fusionne avec lui et colore à sa suite le monde d’un gros grain adipeux. Motard, camion, jetski : partout, on le double ; partout, on le brise. On lui rappelle qu’il fut et reste un con, loin de mériter de figurer sur les listes administratives. Le monde qu’il revisite n’existe plus, et la direction qu’il prend n’a plus qu’à s’infléchir : au lieu de la paperasse officielle, vers la marge ; au lien de la pension à venir, le deuil mal digéré de sa jeunesse. Trois femmes vont structurer le parcours de Serge, trois muses déglinguées. L’épouse callipyge et vengeresse bouffonne, vers laquelle il doit apprendre à regagner l’Ithaque. La nymphette qui lui fit découvrir éros et thanatos en un même élan de moto, Adjani spectrale et sanglante. Et la nièce, fille de substitution, sculpteuse de poupées de plastique, petit être ayant vu les anges de trop près et chiant dans les trous de golf avec ses copines.
Foire aux guests souvent drôle (notamment les insultes au rayon jambon avec Kervern ou la rivalité avec Poelvoorde et son détecteur de métaux sur la plage), trajet à la fois punk et mélancolique, Mammuth explore des terres plus sentimentales qu’à l’accoutumée. Depardieu, sonné et massif, y donne avec sa nonchalance habituelle les étincelles les plus insoupçonnées de son inimitable génie, tandis que le discours traditionnel des grolandais, toujours aussi acerbe, à l’image de la façon dont les collègues mangent leurs chips au pot de départ en retraite, se loge dans les détails et s’habille d’une poésie qu’on pourrait qualifier de maturité.