Il est intéressant de découvrir Man of Steel à l’aune de Watchmen. Avec celui-ci, Zack Snyder avançait déjà une conception du sur-homme, pragmatique et visionnaire ; acculé à son filtre ténébreux et torturé, le mythe optimiste de Superman trouve une nouvelle expression, régénérant avec brio la vision du pur ange gardien de la civilisation, où la population, compacte et lointaine, voir invisible, relève autant du fantasme que l’idéal de ce deus ex machina loyal et tout-puissant.
Érigé en blockbuster de l’année 2013 et annoncé comme le meilleur film de super-héros depuis The Dark Knight (il existe une correspondance psychologique marquée mais incomplète avec les Batman de Nolan), Man of Steel se démarque par son ampleur épique, sa solennité assumée et la puissance de ses effets. Si la narration semble sans cesse contrariée, déchirée entre le cahier des charges et des aspirations conceptuelles, l’identité esthétique du Superman de Snyder se déploie sans concessions, notamment par la confrontation entre les forces de Zod et celles de Superman ; et aussi avec la belle animation du rêve poliment libidinal de destinée héroïque compilant extase sociale, amoureuse et transcendantale. Mais par-delà les crânes mouvants ou le grain décoloré, les enjeux du combat et l’usage des pouvoirs participent en premier lieu à cette démarche esthétique. Ainsi, le projet de refondation de Crypton au prix du génocide des humains illustre un mélange de tribalisme réactionnaire et de technophilie futuriste, alors que Superman incarne « l’espoir » d’une ère post-déprime voir nihiliste. Il y a aussi dans ce face-à-face un sens manifeste : lorsque Kal-El alias Superman choisit la race humaine (envers laquelle il est ambivalent) plutôt que son peuple, il se pose en contradicteur philosophique et moral d’un général Zod honorant ses racines. Pour justifier ce point de vue, la position du général Zod est assimilée à celle d’une acceptation cruelle, puisqu’il se laisse conditionner intégralement, bien qu’activement, par ce que son héritage a conçu pour lui, alors que ce dernier se révèle souvent un fardeau injuste. Or si le propos de Snyder invite subtilement à une distanciation par rapport à ces principes historicistes, il n’évoque la "liberté" que pour mieux justifier son indifférence à l’égard des masses, sinon en tant qu’instrument (et obstacle éventuel, voir parasite) de la société de ses désirs : celle du règne de maîtres se tenant pour auto-engendrés à la différence du commun des mortels, entité dont ils se servent par ailleurs de support pour matérialiser leurs projets.
C’est une seconde fois le discours élitiste d’aspirant-illuminé qui travaille le film et lui confère un sens particulier. Cette fois l’œuvre tient plus de la projection idéaliste que de la métaphore souterraine ; et elle ajoute au double-niveau de lecture (affaibli) un double-niveau de langage. Ainsi, avec Man of Steel, le cinéma de Syner revendique ses chimères grandiloquentes (avec une facette altruiste) tout en étayant sans relâche sa misanthropie et son dégoût des masses ; qu’elle tend à confondre en même temps qu’il fait l’éloge de l’individu. Il prétend que chacun se bâtit et vaut pour et par ses actes et sa personne ; pourtant il enferme dans des carcans pré-déterminés et se montre indifférent aux individus lorsqu’ils sont là et font la preuve de leurs qualités, de leur acuité, de leur ingéniosité.. toute humaine soit-elle. Par ailleurs, on retrouve cette idée, déguisée voir consciemment rejetée par le script et pourtant bien intégrée, que le commun des mortels est dangereux et stupide ; alors qu’une petite poignée est sage et éclairée et même, parce qu’il faut légitimer sa position, bienveillante ; de la même manière, on déclare que l’individu est tout et évoque la richesse de chaque homme – tout en se servant de cette prose humaniste et universaliste pour défendre le statut-quo et maintenir une saine ignorance. Néanmoins, le révolutionnarisme fantaisiste de Snyder semble incorporer une dimension emphatique, en tenant compte de ces pions ingrats formant la population avec laquelle il faut composer. Le personnage de Kal-El incarne même un tenant de l’avant-garde passablement résigné, plus attiré par la satisfaction commune qu’un progrès hypothétique ou circonscrit. Ainsi à l’arrogance, il préfère un orgueil discret.
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