"Now, you don't fuck around with the infinite."

Scorsese déboule sur la scène du nouvel Hollywood avec une énergie débordante. Baroque, hétéroclite, son film part dans toutes les directions. Dans un New York circonscrit au quartier italien, où la fête folklorique et catholique semble constante, dans une approche à la fois documentaire (pour les extérieurs) et surstylisée (pour les intérieurs), il fait le pari de la transcription d’un univers qui, sans réel récit jusqu’à ses trois quarts, aurait pourtant une intensité constante, en un paroxysme permanent. Dans un registre plus calme mais procédant des mêmes expérimentations d’éclatement du récit, De Niro a déjà tourné Greetings avec De Palma, quelques années plus tôt.


De la caméra à l’épaule aux ralentis musicalisés, des filtres colorés aux caméras fixés au visage pour suivre la bancalité d’une beuverie, tout le spectre visuel est exploré, formidable déclaration de liberté artistique et ode à la furie d’une jeunesse à la fois décomplexée et perdue.
Mean Streets est avant tout un film sur des enfants livrés à eux-mêmes. Arnaques à 20 $, fous-rires, défonce, provocation, bagarres et insultes, chemises repassées par maman… Mais avec les moyens de destruction des adultes.


Tout le film fonctionne sur cette technique du contrepoint : la musique, festive du folklore italien ou de la pop (les Ronettes, les Rolling Stones…) accompagne des scènes d’une grande violence, une scène de bagarre se ponctue de rire et de réconciliations, même la fuite finale, fortement dramatique, laisse ressurgir les plaisanteries et la camaraderie. Scorsese travaille à signifier l’instabilité du monde dans lequel évoluent ses personnages : la violence surgit souvent du second plan : l’agression à une table du fond au bar, où la brusque tentative de viol par un vétéran du Viêtnam… à n’importe quel moment, tout peut déraper. En ce sens, la relation qu’il établit entre Charlie (Keitel) et Johnny Boy (De Niro) est celle d’une impossible fusion. Entre un système , celui de Charlie, neveu de son oncle, qui voudrait faire fonctionner la rue comme l’Eglise dicte à ses ouailles leurs conduite, et Johnny Boy, tête cramée, poète anarchiste qui passe sa vie sur les toits, entre fuite et provocation, à tenter d’éteindre l’Empire State Building avec un calibre 38.


Tous les deux sont dans l’erreur, le second parce qu’il veut faire imploser un système tout en l’exploitant, empruntant à tout le monde, le premier parce qu’il croit pouvoir le couvrir et le sauver.
Ce pessimisme festif qui irradie chaque séquence fait du film un jalon fondamental dans l’histoire du cinéma. Entre l’esthétique documentaire et le formalisme le plus baroque, la tradition catholique et la jeunesse révoltée, Scorsese refuse de choisir, et pose les bases de son cinéma, qui, s’il s’apaisera quant à ce bouillonnement formel, ne cessera d’explorer cette thématique de la rédemption et de la violence.

Sergent_Pepper
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le 13 oct. 2013

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