Plutôt qu'une victoire de la Mort, le sujet est surtout l'échec de l'élan vital. Lié à de mauvais désirs et à une passion destructrice, celui-ci se retrouve inhibé au point de ne réanimer un homme en panne que pour lui donner un dernier vertige, agréable mais éprouvant. Il lui apporte son lot d'espoirs doux ou grotesques, auquel il ne faut pas trop réfléchir pour ne pas les entamer, pas plus qu'il ne faudrait agir pour tout saboter. Dans Mort à Venise, le désir d'un vieil artiste pour un éphèbe n'est jamais consommé, sinon dans ses rêveries : il se nourrit des petits gestes du quotidien, des suspicions de connivence, pour permettre tous ces glissements et l'entretien des illusions.


La poursuite de la beauté pousse le héros vers le tombeau : parce qu'il n'est pas capable de la capturer et car elle le dévorerait de toutes façons, il n'a plus qu'à s'éteindre, afin de protéger cette beauté, en trouvant enfin la place revenant au créateur usé, voir ratatiné, qu'il est devenu. Dès son arrivée à Venise (sur l'Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler), le compositeur Gustav von Aschenbach ne maîtrise plus son art. Entièrement malade, il ne saurait pas aller au-devant de sa passion, forcer le réel ou l'enchanter. Il arrive à Venise en espérant retrouver l'inspiration : il va tomber en amour, mais c'est un amour interdit et face auquel il est impuissant, il est donc condamné à tous les degrés. Son attirance douloureuse génère de la honte : dans la scène de l'ascenseur sont poussées à leur paroxysme l'envie dont il crève, la peur d'échouer et celle d'afficher ces sentiments déviants que lui-même ne sait comprendre et dominer.


La disymétrie avec un ami artiste est intéressante, car celui-ci se montre complaisant envers les forces minant Von Aschenbach et il verra dans le four de sa dernière prestation publique un moment épique, savourant la beauté funeste de l'événement. Lors d'une discussion où il parle du Mal comme instrument de la création (« une nécessité »), Von Aschenbach rejette brutalement ses propos, particulièrement dérangeant pour un homme s'agrippant à une éthique plus limpide (ou 'traditionnelle') d'autant plus que tous ses tourments sont des remparts contre l'éclosion du Mal voir de sa pire manifestation, la dégradation. Il est effrayé de céder à ses tentations, pas simplement en tant que moraliste, mais parce qu'il y a un avilissement beaucoup plus profond dans la foulée. Il craint la passion et ne croit pas pouvoir en extraire de quoi nourrir son art, au contraire, elle saboterait tout, elle le ferait vivre sans recul, comme un exalté ridicule ou pire, un sanguin rustaud abîmant tout ce qu'il saisit.


Dans la dernière partie du film, la vie intérieure d'Aschenbach exulte et les scènes de fantasmes s'incrustent dans le récit. Au sein de ces projections inquiétantes ou fantaisies délicates, la maladie du héros devient une épidémie mortelle s'abattant sur Venise, dont Aschenbach lui-même tient à préserver le moteur de sa regénérescence ratée. Luchino Visconti a fait de cette adaptation de la nouvelle La mort à Venise de Thomas Mann (1912) une tragédie contemplative, longuement mûrie. Avec le scénariste Nicola Badalucco, Visconti modifie quelques éléments, faisant notamment de Von Aschenbach un compositeur et non plus un écrivain, ce qui renforce l'écart de langage entre cette version et son modèle. De plus, le garçon répond aux regards du musicien, alors qu'il n'y avait aucun lien objectif entre les deux personnages dans la nouvelle. Enfin c'est pour Visconti, après Le Guépard et Les Damnés, une nouvelle reconstitution historique sublime, dans la Venise capitale touristique de la bourgeoisie européenne au début du XXe siècle.


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Autres films de Visconti :
Violence et Passion

Zogarok

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