Après les virulents Nous sommes tous en liberté provisoire et Confession d’un commissaire de police au procureur de la République, Damiano Damiani rempile avec les yeux perçants de Franco Nero pour une nouvelle bobine politique très engagée qui s’intéresse à ce qui faisait trembler l'Italie dans les années 70 : La mafia et la corruption qu’elle rendait possible dans les hautes sphères économiques et judiciaires du pays.


A travers une chasse à l’assassin, engagée par un cinéaste qui n’a pas froid aux yeux — de là à y voir une petite mise en abyme, il n’y a qu’un pas—, Damiani dénonce et accuse un système complètement vérolé aux allures de confrérie secrète dont le fonctionnement est marqué par un opportunisme morbide. Point de code d’honneur, il n’y est question que de guerre d’intérêts et de stratégies malsaines : le plus vicieux ne s’assiéra sur le trône qu’une fois les têtes de ses amis éphémères tombées au combat.


Plus que sa farouche soif dénonciatrice, ce qui fait l’intelligence de Perche si uccide un magistrato est que Damiani ne se repose jamais uniquement sur le côté polémique de son sujet. Oui l’homme en a gros sur la patate, mais il a surtout une histoire stimulante à raconter, un polar labyrinthique qui tient toutes ses promesses. Sa force ? Les deux personnages charismatiques qui s’y livrent bataille et passent leur temps à essayer de cohabiter. Françoise Fabian, sublime et distinguée, devient objet de fascination pour un Franco Nero tenace et manipulateur malgré lui. C’est sa passion qui permet à Damiani de brouiller les pistes pour jouer avec un spectateur qui passe son temps à infirmer les quelques hypothèses qu’il se risque à formuler.


Il n’y a guère que la mise en scène un peu fonctionnelle de l'ensemble qui peut sembler légère, même si on la devine voulue simple par un cinéaste plus intéressé par le fond de son propos. Non pas qu’elle soit manquée à proprement parler, mais il manque à l’image un petit coup d’œil un peu plus singulier, quelques jeux de cadre plus personnels pour qu’elle marque davantage les esprits. Cela étant dit, il est évident que Damiani a certainement souhaité cette épure visuelle dans l’optique de ne laisser la place qu’à ses personnages et leurs discours, mais en tant que gourmand de belles images, j’aurais aimé pouvoir associer à cette bobine au caractère bien trempé quelques séquences visuellement plus intrépides.


Bien entendu, la sagesse visuelle de l’ensemble n’entame en rien sa puissance thématique, ni la belle harmonie qui règne entre tous les acteurs qui s’y livrent bataille. A n'en pas douter, Perché si uccide un magistrato est une valeur sure du poliziesco engagé, un joli tour de force qui combine avec aisance dénonciation sans concession d’un milieu pourri jusqu’à l’os et polar passionnant de belle facture. Et puis, comment ne pas esquisser un sourire, ni se laisser envahir d’un profond respect pour Damiani, cinéaste indomptable, quand il clame haut et fort à qui veut l’entendre, qu’il n’est pas homme à se laisser dicter sa conduite, en laissant le mot de la fin à Franco Nero qui quitte l’écran après avoir justifié ses inflexibles principes au moyen d'une petite puchline bourrée de classe.

oso
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes L'ours, Homo Video, en 2015 et Les cycles de l'ours : Le poliziesco

Créée

le 30 sept. 2015

Critique lue 482 fois

13 j'aime

oso

Écrit par

Critique lue 482 fois

13

D'autres avis sur Comment tuer un juge

Comment tuer un juge
Redzing
6

Juge et coupable ?

A mi-chemin entre le drame et le poliziottesco, ce film démarre par une mise en abyme assez jouissive. Un réalisateur sort un film, pointant du doigt un juge qu’il accuse d’être acoquiné avec la...

le 20 oct. 2023

6 j'aime

3

Comment tuer un juge
Cinephile-doux
7

Petits arrangements siciliens

Comment tuer un juge est typique du cinéma italien politique mais surtout représentatif de la manière d'un Damiano Damiani plutôt adepte de l'emporte-pièce, si on le compare au cinéma plus ample et...

le 5 juil. 2024

2 j'aime

Comment tuer un juge
Morrinson
6

Nero dans l'étau du doute

Le style Damiani commence à se dégager plus précisément, et surtout au creux du cinéma politique italien des années 70, années de plomb. Je n'ai pas encore assez de recul pour percevoir la portée...

le 27 sept. 2023

2 j'aime

Du même critique

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

83 j'aime

4

Under the Skin
oso
5

RENDEZ-MOI NATASHA !

Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...

Par

le 7 déc. 2014

74 j'aime

17

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8