L’amour, cette évidence qui se jouerait du temps, de l’adversité et la mort : tel est le propos de Peter Ibbetson, conte fantastique aussi excessif qu’attachant.
Le lien qui unit le couple parfait des deux protagoniste prend ainsi sa source dans l’enfance : ce sont des disputes dans une sorte de screwball précoce entre deux voisins, à propos de planches destinées à un jeu. À la tendresse portée sur ces êtres masquant maladroitement leur vulnérabilité s’ajoute un thème visuel structurant, et qui traversera tout le récit : celui des cloisons. La grille poreuse qui sépare les deux jardins annonce l’ambivalence dramatique de ce couple, qui sera fusionnel sans jamais pouvoir, dans l’espace du réel, cohabiter effectivement. Tout n’est que contrainte dans la dimension physique : ainsi de ce visage brisé de la poupée, et de cet arrachement du jeune Gogo, rebaptisé par son oncle qui dénie la part française de ses origines pour le formater violemment aux désillusions de l’âge adulte.
(spoils à prévoir)
La dynamique ira croissant. Alors qu’un vieux sage aveugle lui révèle une vérité fondamentale (le bonheur n’est pas à chercher à travers les voyages ou un ailleurs géographique, il est intérieur), Peter devenu adulte retrouve sa dulcinée désormais mariée à un homme qu’il tuera en situation de légitime défense. Le trait est certes assez épais, mais prépare le terrain d’un récit qui ne cherche justement pas à créer une illusion réaliste.
La rigidité du réel (un milieu des élites, des codes de politesse en inadéquation avec la violence des ressentiments, l’inflexible regard du système judiciaire) achève de précipiter les amants dans le domaine des rêves, et fait basculer le récit dans sa dimension fantastique. Chaque nuit, les amants se retrouvent dans leur univers onirique, qui devra symboliquement se construire par remparts successifs avec le réel qui le combat. De belles images permettent ainsi de voir communiquer les amants, unis par le même rayonnement lumineux dans leurs chambres respectives, se défaisant progressivement des doutes rationnels, puis de leur enveloppe corporelle.
Si le jeu des comédiens est un peu trop théâtral et la fable un peu naïve, le film est tout de même attachant par cette foi affirmée dans l’imaginaire, mise en abyme à peine voilée du pouvoir des images et du rêve mouvant que propose le cinéma, encore jeune en 1935. Dans la cohorte des films qui aborderont cette question du rêve (Total Recall, Vanilla Sky Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Paprika…), il tient ainsi la place de mythe fondateur, avec une fraîcheur tout à fait charmante.