Phantom Thread avait trois raisons, peut-être plus, mais principalement trois raisons d'être une grosse attente malgré un sujet qui dès l'annonce du tournage et les premières photos de ce dernier ne me faisait pas sauter au plafond. Première raison : Le nouveau film de Paul Thomas Anderson, raison qui a elle seule pourrait suffire. Deuxième raison : Le dernier rôle du grand Daniel Day Lewis, du moins possiblement. Troisième raison : Le duo Anderson / Day Lewis réunis onze ans après l'époustouflant There Will Be Blood.



Le Diable s'habille en Woodcock



Paul Thomas Anderson nous avait laissé quatre années plus tôt sur son adaptation du même nom du roman de Thomas Pynchon, Inherent Vice. S'il ne renfermait pas sa meilleure œuvre, elle n'en restait pas moins géniale. Le voilà donc de retour après la réalisation du documentaire Junun et de quelques clips musicaux pour une nouvelle œuvre originale.


L'homme qui n'avait que faire de la mode a via une remarque de son ami musicien Johnny Greenwood eu le déclic pour se plonger dans l'histoire de celle ci. Day Lewis a avoué en interview que lui non plus n'avait à l'époque pas un grand intérêt pour ce milieu. Et pourtant voilà qu'au final les deux hommes se retrouvent dans une pièce pleine de bouquins sur le sujet pour écrire ce futur film.
La force et la passion de P.T. Anderson pour tout sujet est dingue, à travers une filmographie courte par rapport à certains autres grands réalisateurs, il peaufine toujours ses histoires et surprend à chaque fois. Moi qui doutais de ce sujet, de la haute couture, enfin je ne doutais pas du sujet mais de mon intérêt pour ce film précisément, dont j'avais peur quelque part, peur d'en être déçu, Anderson m'a une nouvelle fois susurré à travers son œuvre "c'est pas du bon ça ?", et en effet, c'est du très très bon.


Une chose qui m'épate également à travers sa filmo, c'est que les distributeurs français ne traduisent jamais, hormis le premier, ses titres de film, même les plus compliqués, quand sur bien d'autres produits étrangers ils s'y mettent limite à cœur joie. Phantom Thread, titre trouvé d'après les conditions difficiles dans lesquels travaillaient les couturières durant l'époque Victorienne, à tel point qu'en rentrant chez elles, le mouvement qu'elles faisaient habituellement avec l'aiguille continuait, comme un spasmes, d'où le fil fantôme. Le titre renferme plusieurs significations au final.
Autre chose qui n'a rien à voir mais que je trouve assez amusante, presque mystique, c'est de voir que quand on place les affiches de There Will Be Blood et Phantom Thread côte à côte, les visages de Day Lewis s'affrontent, c'est tout bête mais ça m'amuse.


Au-delà d'avoir potassé le sujet de la mode, d'avoir bouffé du pageux comme souvent quand il bosse ses films, Anderson s'inspire obligatoirement d'Alfred Hitchcock, comment s'inspirer de mieux quand on veut proposer une romance vénéneuse comme celle-ci ? Il s'inspire également beaucoup du couturier espagnol Cristóbal Balenciaga pour le personnage de Reynolds Woodcock, nom assez délirant une fois traduit, proposé par Lewis lui-même et qui a fait marrer Anderson.
En parlant de ce nom à connotation sexuelle, il est tout à fait normal d'éviter le sujet du sexe dans un film si raffiné et gracieux, mais c'est pourtant bien rare qu'un film du monsieur s'en prive, tant on retrouve ce sujet dans la majorité de ses œuvres.



Master of Mode



Ce magnifique et tortueux Phantom Thread s'apparente à mes yeux comme l'alter ego de The Master, l'œuvre la plus complexe du monsieur à ce jour. En effet, au-delà du fait que les deux se déroulent dans les années 50, l'un en Amérique, l'autre en Angleterre, ils traitent tous deux de la domination dans une relation. L'une brutale et excessive, l'autre douce et cruellement belle.
Phantom Thread est dès les premières minutes une fabuleuse insertion dans le chic... quoique non, Reynolds n'aime pas ce mot... dans la droiture et... puis merde, chic, de cette époque.
L'élégance de la mise en scène, gracieuse à souhait, la lumière immaculée, les décors naturels, costumes somptueux, tout est réunis pour former une œuvre crédible, belle et pleine d'hommage au cinéma des années 50.


Ce visionnage fut donc un bonheur, jamais d'ennui, pas le temps, j'avais la banane tant j'étais curieux de cette œuvre et tant j'aime le travail d'Anderson. J'étais enfin devant un film typique des années 50/60, que je n'aime habituellement pas des masses tant ils manquent cruellement de subtilité, qui ici donc est parfaite.
La relation nouée entre ce couturier de renom maniac et cette serveuse en apparence inoffensive, va se transformer au fil du temps en un jeu de domination et d'amour profond malsain, dérangeant et pourtant jouissif.
En effet, Paul Thomas ne laisse jamais la dureté de son sujet l'emporter sur l'ambiance totale, il lui faut toujours ce petit élan de folie, ce moment désopilant.
Quand d'un autre coté il peut nous pondre des scènes mémorables, je pense notamment à celle de l'omelette aux champignons qui traîne en longueur exprès, le jeu de regards entre le couple, cette puissance du moment. Une autre est épatante aussi, celle de la demande en mariage, ce plan séquence doux qui s'avance vers la banquette où les deux sont assis, Day Lewis lance alors son texte : "Veux-tu m'épouser ?", alors que Krieps traîne à lui répondre, le laissant dans le doute car d'après Anderson il n'était pas au courant sur le moment, il ne comprenait pas, allant jusqu'à penser qu'elle avait oublié son texte. Quand on le sait avant de voir la scène, c'est particulièrement génial, voir Daniel se perdre complètement mais continuer à jouer, c'est fort.


De toute manière Day Lewis semble avoir été bluffé par l'actrice méconnue Vicky Krieps, alors que nous spectateurs on peut se dire qu'un monstre comme lui va la bouffer en deux plans même pas, et pourtant. Le choix de cette actrice est parfait, puis Lewis se fond tellement dans ses rôles qu'à l'écran je ne pense même pas à lui. La force de Vicky est qu’elle arrive, du moins sur ce film à retranscrite la beauté cruelle de certains personnages des années 50/60, tout en ajoutant la subtilité nécessaire pour ne pas tomber dans le théâtral grotesque que j'ai souvent vu.
Un duo d'acteurs qui se complète remarquablement bien, dont Daniel qui une fois de plus pour se fondre dans son personnage s'est préparé en amont. S'il ne s'agit pas de sa préparation la plus intensive, il s'est tout de même retrouvé à coudre entièrement quelques robes.
L'acteur qu'on n'avait pas vu depuis 2012 pour Lincoln, s'il décide réellement de quitter ce métier, réalise une dernière prestation d'une justesse exemplaire, au sérieux magnifique.
S'il tire sa révérence, de son côté, la jeune Vicky Krieps n'en est qu'à ses débuts, nul doute que ce film la propulsera un peu plus sur le devant de la scène tant elle est épatante, pouvoir et arriver à tenir tête à un acteur aussi prestigieux que celui qu'elle a affronté, ce n'est certainement pas donné à tout le monde, et à aucun moment du film je n'ai douté de ses capacités à le faire. Une prestation subtile et marquante.
Je ne citerais pas tout le monde tant l'esprit du film se renferme au final sur un duo, voire même trio, puis je connais pas grand monde non plus il faut le dire, mais comment ne pas citer Lesley Manville ? Actrice que j'ai déjà vu et dont je ne me souviens pourtant même pas l'avoir vu. Ici d'un mystère absolu, que penser de son personnage de Cyril Woodcock, la sœur de Reynolds ? C'est presque comme si elle même était un fantôme, ou du moins la copie de Reynolds en femme, j'ai eu comme ce sentiment mystique tout au long du film à leur propos. En tout cas elle est d'une justesse elle aussi, d'une retenue et d'une classe à toute épreuve.


En bref, même si cela a été dur de l'être, Paul T. Anderson ne semble pas prêt de perdre son souffle, son énergie et son talent, allant jusqu'à occuper pour la première fois le poste de directeur de la photographie. Poste qu'il semble occuper à merveille avec ses collègues, tant le film rayonne de clarté, d'un grain fabuleux et d'une maîtrise au cordeau.
Il n'est ici pas trop gourmand en plans séquences mais s'en réserve tout de même deux/trois, incroyables comme à chaque fois. Techniquement c'est parfait, je ne veux même pas épiloguer, c'est beau, gracieux, détaillé, soigné et j'en passe car ce texte sensé être bref ne l'est plus vraiment.
Pour sa quatrième collaboration avec Johnny Greenwood, Anderson n'hésite pas à lui demander des compos fortes, presque clichées, elles sont à l'image du film, tantôt délicates et élégantes, tantôt étranges et pénétrantes, comme pouvait déjà l'être la BO de The Master.


Phantom Thread est un hommage au cinéma, une œuvre riche, fascinante et captivante.

MC™

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