Pusher était une claque, ce qu’on appelle un "film coup-de-poing", Pusher II est un coup de massue. Après celui de Frank, dont il n’est plus question ici, Winding Refn dresse le portrait de son veule et déloyal associé Tonny. Fraîchement sorti de prison, ce dernier tente de regagner la confiance de son père, le "Duc", roitelet d’un trafic de véhicules et stupéfiants, en ramenant à l’inhospitalier QG une voiture de luxe volée sur coup de tête. Les bonnes intentions n’y font rien, Frank ne se reconnaît plus chez les siens qui lui font payer ses erreurs tactiques.

C’est la tragédie, rudimentaire a-priori, d’un "kéké" des bas-fonds, abandonné par son entourage et écrasé par son environnement. Il est vide, mais ne peut se résoudre à se fondre dans cet univers qu’il ne comprend que trop et paradoxalement lui apparaît toujours plus lointain. Aspirant dans le fond à s’en désengager, il ne se résout pas à couper le cordon, mais ses contributions ne sont qu’amabilités.

Toujours plus seul au milieu des rats de Copenhague, il est terrassé par les ordures : trop de questions, trop d’humanité débordent encore de chez lui, si bien que même parmi les rebuts, il ne trouve plus sa place. Le mélo sordide sublime la peinture d’un milieu ou la règle est de tout détruire puis reconstruire, inlassablement, avec une assurance fébrile. Pusher II est l’histoire d’un automate déconnecté s’éjectant de la spirale qui l’a engendrée.

Au-delà d’un paysage dépravé, c’est un film sur l’héritage fardeau et la filiation maudite. L’indécision de Tonny est le principal stigmate de sa servitude à un jalon fielleux : ce père n’a rien à lui proposer d’autre que le poste de second couteau. Un autre magnifique portrait de patriarche irrigue le film, c’est celui de Milo, ce bonhomme charismatique et odieux, faussement mielleux et sans pitié.

Davantage entamé que dans Pusher où il était déjà présent, c’est un aigle estropié parmi les rats qu’il surplombe. Si le microcosme des malfrats est son terrain de jeu, cette figure excessive est passionnante en ce qu’elle suffoque pour mille. Résolu à des déambulations absurdes, Milo est un bourreau asphyxié. C’est à lui que se consacrera le dernier opus du triptyque ; la conclusion s’annonce idéale, pleine et puissante.

Le naturalisme est partagé entre misanthropie et regard attentif vers l’homme, sa bêtise et ses perversions. Mais plus encore que dans le premier opus, Refn creuse un sillon vers la fable, ténébreuse et toxique certes, emprunte d’un espoir aussi, d’un soupçon de vie qui pourrait tromper une condition butée. L’esquisse d’un »autre chose » est peut-être accessible.

Certains regretteront cette scène probablement dispensable d’un Tonny échoué au bordel, mais c’est que l’approche du film refuse toute mise en images de fantasmes grossiers et chimériques. Son esthétique licencieuse est tout à fait contraire au sensationnalisme. C’est cru, c’est lumineux.


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/15/la-trilogie-pusher/

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le 15 oct. 2014

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