C’est bien à la fameuse politique des auteurs que je dois le visionnage de ce film. Lorsqu’un réalisateur singulier et malin s’empare d’un sujet aussi puissamment commercial, on est à l’affut de la valeur ajoutée qu’il va y insuffler.
C’est cependant, en ce qui me concerne, un exercice un peu délicat. J’ai coutume de regarder ce genre de films à dose homéopathique, et la plupart du temps dans une perspective de descente en flammes (cf ma liste Les arcanes du blockbuster). Seul Mc Tiernan a su justifier ce type de lecture jusqu’à présent. Robocop s’en sort avec les honneurs.
Considérons avec une certaine tendresse les effets spéciaux non numériques de la machine, et la musique franchement pénible, tout comme la trame générale qui n’échappe pas au canevas conventionnel de ce type de produit.
L’intérêt réel du film est bien entendu dans la vision du monde qu’il propose. Dans un Detroit d’avant la grande faillite du réel, les compagnies gèrent tout et la privatisation règne en maitre. Dans une architecture glaciale qui exploite tout ce que les 80’s ont de plus clinquant, les hommes en costards réfléchissent à l’asservissement des services publics. Rien n’échappe à leur contrôle, notamment par l’entremise d’une télévision omniprésente devant laquelle s’esclaffe une plèbe aussi méprisable que ses élites.
C’est là la saveur du film : son cynisme et sa méchanceté. L’image, omniprésente, a remplacé les discours : les films d’entreprise ont vocation de conférence, la publicité gangrène les informations, et le ludique exploite l’actualité (qu’on pense au splendide jeu familial, Nuke’ em) La seule façon d’avancer, c’est de raser et de remplacer par des machines : l’agent immobilier est un téléviseur, le soldat un robot.
La mise en scène, très fluide et par plans séquences dans son exposition, glisse sur ce papier verni d’un flyer ultralibéral. Verhoeven, petit pervers, laisse entendre un temps que le glacis du robot sera la rutilante réponse aux bas-fonds. Mais la jubilation avec laquelle il fait exploser le corps du premier cadre venu, déchiqueté sur la maquette immaculée, annonce un programme autrement ambigu.
La dystopie, savamment non datée, instaure un monde désespéré, où la dichotomie entre le bien et le mal est viciée par la corruption et la victoire du capitalisme ; à l’exécution de Murphy permettant la résurrection en superflic, répond celle faite par son propre camp, véritable défouloir de violence au mépris de toute cohérence idéologique : rédempteur crucifié, homme désavoué, machine programmable et jetable : voici le héros de demain.
Jeu de massacre gore, le film dézingue à tous les étages. Chez Verhoeven, les corps sont voués à se répandre : on pisse sur son pantalon, on se fait tirer dans les valseuses, on se fait démembrer ou on se dilue dans l’acide avant de se pulvériser sur un parebrise.
Dans cet entrelacs de métal et de chaire mutilée, Murphy suit sa quête d’une identité effacée.
Là aussi, si les ingrédients traditionnels sont présents (la femme, le fils, l’image du père), c’est pour mieux les perdre. Toujours rivé à sa thématique de l’image, le récit le rend prisonnier d’un cliché traumatique originel, qui génère l’inattendu, le rêve et la quête d’une correspondance avec le réel pour assouvir vengeance et affronter son moi. Alors qu’il se dévoile en se braquant une visseuse sur la tempe, le visage et ses yeux bleus sur la réalité sordide permettent sa rédemption.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : si Murphy retrouve son humanité par le geste qui pourrait susciter l’admiration du fils, ce fameux mouvement permettant de rengainer son flingue, Verhoeven prend soin de faire de ce geste fondateur une réplique de série cheap à laquelle s’abreuve l’enfant. La boucle est bouclée, et le cinéaste paie avec intelligence et malice son dû au format qu’il visite, signant comme auteur un cinéma référentiel et intègre. Les remakes récents de son œuvre auront au moins eu le mérite de se pencher sur cette singularité, et ne peuvent que désoler sur l’état actuel d’Hollywood qui, dans sa politique de recyclage, en s’aveuglant des insipides potentiels du tout numérique, ne comprend même plus les mérites de l’intertextualité.
http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Paul_Verhoeven/1018027