Devenir la bête.
Nominé pour la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1963, "Sa majesté des mouches" est l'adaptation par Peter Brook du roman éponyme de William Golding, récit que j'avais découvert en classe de...
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le 22 nov. 2014
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Interprétation littérale du roman éponyme de William Golding (1954) souvent étudié en milieu scolaire (intéressant pour ses personnages symboliques – ou stéréotypés, selon l’angle de vue), Sa Majesté des Mouches est le film le plus célèbre du metteur en scène Peter Brook, dont l’essentiel de la carrière s’est déroulée autour du théâtre (notamment pour des reprises de Shakeaspeare). Pour cette adaptation, Peter Brook s’est contenté d’un budget minimal, d’une équipe et de comédiens novices, afin de jouir du contrôle le plus entier sur son film.
Sa Majesté des Mouches a une grande qualité, ce sont ses acteurs enfants excellents (même s’ils ne sont pas au niveau, par exemple, de Tomboy) pour camper ces garçons de six à douze ans livrés à eux-mêmes sur une île de l’Océan Pacifique après la chute de leur avion. Curieusement, seul l’un d’entre eux a pu poursuivre une carrière (James Aubray, alias Ralph). Précocement confrontés au principe de réalité, sans gouverne de surcroît, ces enfants ne sauront pas s’acquitter des impératifs de la vie en société, illustrant ainsi la fébrilité des civilisations et le caractère lâche des Hommes.
Le problème de Sa Majesté des Mouches et il atteint sa dimension technique (les péripéties manquent de souffle), c’est sa peine à en venir à son sujet (sinon à avouer ses intentions) ; et même lorsqu’il l’expose, il n’en tire qu’une leçon conventionnelle doublée d’une essence approximative et quelconque. Le film s’illustre ainsi par sa morale compassée sur les menaces de l’anarchie, allègue un scepticisme sur le doux état de nature rousseauiste et revendique malgré lui la vision d’un Homme dans lequel le Mal est inscrit.
Elle trouve sa réponse dans un juste mélange de socialisme dépressif et de conservatisme bienveillant, mais à vocation intrinsèquement limitative, voir punitive ; car la nature de l’Homme est, avant tout, mauvaise ; et que ses penchants négatifs, sans contrôle, le domine, il faut donc nécessairement l’encadrer, par l’éducation, par les institutions, afin de préserver la sérénité publique, mais aussi de le protéger de lui-même. Un aperçu de bonne volonté, plutôt sain, assez vrai ; mais finalement bien superficiel ; il n’explore même pas l’idée de déracinement (seulement le manque de cadres institutionnels). Son regard est mou, autant que son geste est farouche.
En contournant autant le nihilisme que la foi, la passion que l’analyse, Sa Majesté des Mouches n’affirme finalement pas grand-chose, sinon une pensée morose assorti à un marquage idéologique improductif ; il s’agit d’éviter – et lorsqu’il faut construire, c’est encore simplement pour maintenir à place le microcosme social en l’anesthésiant. Entre les sauvages tribalistes et les socialistes raisonnables, échouant à exister en raison de circonstances trop urgentes, Sa Majesté des Mouches prend le parti des seconds tout en montrant son impuissance. Il charge les populistes hédonistes et révèle l’autoritarisme de leur régime ; révélant au passage le besoin, pour un pouvoir exploiteur et abusif, de reposer sur un ennemi fantasque et insubmersible (la Bête), voir sur l’animisme (de la même façon que le mysticisme peut se mettre au service d’une autorité sans autre légitimité). Cependant il ne prône qu’une démocratie appauvrie et de façade, avec le vote comme vaine expression devant une autorité bienveillante par décret.
Social-conservateur, Sa Majesté des Mouches prend le parti de la prudence, voir de la fadeur, en raison d’une perception pessimiste mais aussi assez naïve. Subversif en son temps (1963) en introduisant la violence psychologique et montrant les rapports de force chez les enfants, il le reste potentiellement pour tous ceux qui croient plus fort que lui tant dans la politique comme instrument positif par-delà un nécessaire entretien de l’ordre et de la sécurité ; dans la complexité et l’ambivalence humaine ; que dans les bénéfices de l’autonomie et de l’individualisme. Cependant en rappelant que l’Homme est une matière à édifier, il justifie, un peu malgré lui là encore, l’espoir, le passage de relais entre les générations et le rôle de l’éducation.
http://zogarok.wordpress.com/2014/09/12/sa-majeste-des-mouches/
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le 18 oct. 2014
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