Lorsqu’il se lance en 1969 dans l’adaptation de Pétrone, Fellini n’a plus de garde-fou, et l’accueil plus que tiède réservé à Juliette des Esprits, loin de l’inhiber, le pousse à expérimenter à plus grande échelle.
Satyricon retourne donc aux origines civilisationnelles de l’Italie, à grand renfort de reconstitution grandiloquentes de décors dans Cinecitta, de costumes et maquillages. Bien entendu, il s’agit de créer une œuvre qui sera aux antipodes du Péplum. Lorsque Fellini évoque un monde, c’est son instabilité qui l’intéresse, ce point de bascule de la crise où les questions surgissent quant à sa pérennité, sa légitimité et sa mort imminente. Les mêmes soubresauts agitaient en un sens les personnages de La Dolce Vita, à l’indifférence près des personnages, et cette espèce de présent permanent des nuits blanches pour tromper la fuite du temps. Ici, Fellini sonde un monde qu’on sait révolu, et fait de cette connaissance une clé essentielle de lecture. Les patriciens se suicident, les hautes figurent sont décapitées par l’envahisseur, les esclaves sont affranchis et le banquet cannibale promet l’héritage des talents du poète qui vient de mourir.
La narration atteint son apogée en matière de fragmentation : à l’image des ruines qu’il évoque, le récit procède par blocs disjoints, de densité et de qualité inégale. Le baroque, ce qualificatif qu’on accole souvent à tort et à travers au sujet de Fellini, est ici porteur de sens : dans l’instabilité de l’univers qu’il dépeint, dans son caractère éphémère, mais aussi et surtout dans sa grandiloquence.
L’outrance est un facteur de décadence, et le maestro l’aborde de front. Certaines scènes sont assez splendides (la cité souterraine et son effondrement, les esclaves sur le navire, le rapport à la terre et la poussière), et on ne peut que reconnaître le travail titanesque effectué sur les décors et la dimension visuelle, dans laquelle la couleur est exploitée dans toutes ses teintes, souvent les plus vives. Mais, à l’image d’un autre chantre du baroque, Jodorowsky et sa Montagne Sacrée, cette image vieillit mal, donnant aujourd’hui le sentiment de voir l’Antiquité… vue par la fin des années soixante.
La question de l’attention du spectateur reste toujours délicate face à un tel objet ; le film est trop long, d’autant qu’on sent bien qu’il pourrait durer indéfiniment du fait de son aspect non linéaire, et l’on sent bien qu’à plusieurs reprise, notre fascination plastique est censée l’emporter sur toute autre exigence. On ne peut s’empêcher, néanmoins, d’avoir le sentiment parfois un brin irritant d’assister aux agitations d’un cinéaste dans la posture du génie, et dont on devrait tout accepter avec respect.
Les réserves importantes quant à ce projet ne condamnent pas pour autant l’audace et l’expérimentation en bloc : il suffit de voir Roma tourné trois ans plus tard, pour s’en convaincre : lorsqu’il est impliqué intimement dans son sujet, Fellini retrouve pleinement sa capacité à ravir.
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