Satyricon
6.8
Satyricon

Film de Federico Fellini (1969)

Lorsqu’il se lance en 1969 dans l’adaptation de Pétrone, Fellini n’a plus de garde-fou, et l’accueil plus que tiède réservé à Juliette des Esprits, loin de l’inhiber, le pousse à expérimenter à plus grande échelle.


Satyricon retourne donc aux origines civilisationnelles de l’Italie, à grand renfort de reconstitution grandiloquentes de décors dans Cinecitta, de costumes et maquillages. Bien entendu, il s’agit de créer une œuvre qui sera aux antipodes du Péplum. Lorsque Fellini évoque un monde, c’est son instabilité qui l’intéresse, ce point de bascule de la crise où les questions surgissent quant à sa pérennité, sa légitimité et sa mort imminente. Les mêmes soubresauts agitaient en un sens les personnages de La Dolce Vita, à l’indifférence près des personnages, et cette espèce de présent permanent des nuits blanches pour tromper la fuite du temps. Ici, Fellini sonde un monde qu’on sait révolu, et fait de cette connaissance une clé essentielle de lecture. Les patriciens se suicident, les hautes figurent sont décapitées par l’envahisseur, les esclaves sont affranchis et le banquet cannibale promet l’héritage des talents du poète qui vient de mourir.


La narration atteint son apogée en matière de fragmentation : à l’image des ruines qu’il évoque, le récit procède par blocs disjoints, de densité et de qualité inégale. Le baroque, ce qualificatif qu’on accole souvent à tort et à travers au sujet de Fellini, est ici porteur de sens : dans l’instabilité de l’univers qu’il dépeint, dans son caractère éphémère, mais aussi et surtout dans sa grandiloquence.


L’outrance est un facteur de décadence, et le maestro l’aborde de front. Certaines scènes sont assez splendides (la cité souterraine et son effondrement, les esclaves sur le navire, le rapport à la terre et la poussière), et on ne peut que reconnaître le travail titanesque effectué sur les décors et la dimension visuelle, dans laquelle la couleur est exploitée dans toutes ses teintes, souvent les plus vives. Mais, à l’image d’un autre chantre du baroque, Jodorowsky et sa Montagne Sacrée, cette image vieillit mal, donnant aujourd’hui le sentiment de voir l’Antiquité… vue par la fin des années soixante.


La question de l’attention du spectateur reste toujours délicate face à un tel objet ; le film est trop long, d’autant qu’on sent bien qu’il pourrait durer indéfiniment du fait de son aspect non linéaire, et l’on sent bien qu’à plusieurs reprise, notre fascination plastique est censée l’emporter sur toute autre exigence. On ne peut s’empêcher, néanmoins, d’avoir le sentiment parfois un brin irritant d’assister aux agitations d’un cinéaste dans la posture du génie, et dont on devrait tout accepter avec respect.


Les réserves importantes quant à ce projet ne condamnent pas pour autant l’audace et l’expérimentation en bloc : il suffit de voir Roma tourné trois ans plus tard, pour s’en convaincre : lorsqu’il est impliqué intimement dans son sujet, Fellini retrouve pleinement sa capacité à ravir.


https://www.senscritique.com/liste/Cycle_Fellini/1804365

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Littérature, vu en 2017, Italie et Cycle Fellini

Créée

le 16 sept. 2017

Critique lue 1.4K fois

21 j'aime

3 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

21
3

D'autres avis sur Satyricon

Satyricon
Thaddeus
10

Les conquérants de la planète mère

L’homme est une planète inconnue. Le temps en est une autre. Lorsque le grand manitou du cinéma italien qualifie son Satyricon d’ouvrage de science-fiction, c’est à ce recul de l’esprit qu’il fait...

le 18 déc. 2023

17 j'aime

1

Satyricon
Docteur_Jivago
4

La décadence humaine

Quelques œuvres sont assez difficiles à appréhender, on se demande ce qu'a voulu mettre en scène l'auteur, ce qu'il avait réellement derrière la tête lorsqu'il a décidé de filmer cela et donc,...

le 28 mai 2017

16 j'aime

8

Satyricon
Brock_Landers
10

Une galaxie morbide et onirique

Avec Satyricon, Fellini poursuit l'entreprise d'émancipation commencée avec la Dolce Vita, il se libère de tout cadre scénaristique, esthétique et moral pour laisser place à une imagination...

le 23 nov. 2013

9 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

714 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

616 j'aime

53