The Offence
7.3
The Offence

Film de Sidney Lumet (1973)

S’il fallait – encore – démontrer l’intérêt de ne rien connaitre d’un film avant de le voir, de ne pas lire jusqu’à sa jaquette ou son pitch, la séquence d’ouverture de The Offense constituerait un argument puissant. Après un prologue où le personnage principal met au tapis ce qui semble être des flics dans un commissariat, il est difficile de déterminer s’il fait partie des flics ou des suspects. La séquence suivante, la sortie d’une école dans une épaisse et silencieuse paranoïa multipliant les angles du vues sur Connery et les regards torves qu’on lui jette parachève l’ambivalence : prédateur ou enquêteur ?
Si le récit qui s’installe définit clairement son rôle, le voile est jeté. Dans une Angleterre glauquissime, Lumet filme une humanité souillée et pourrissante. D’une noirceur imparable, son film décape tous les poncifs du polar pour clairement annonce celui qu’illustreront les grands noms du roman noir des décennies suivantes, David Peace et James Ellroy. Dévoré par la violence qu’il côtoie, le flic cherche autant à sauver le monde qu’à exorciser toute son horreur qui s’est infiltrée en lui.
Les extérieurs sont des terrains vagues sous un ciel bas et lourd.
Les intérieurs claustrophobes deviennent immanquablement des salles d’interrogatoire, qu’on soit au boulot, face au prévenu ou son patron, chez soi face à son épouse. Film sur l’échange, poussant dans ses retranchements les vertus de la communication par le dialogue, The Offense est aussi oppressant qu’il est efficace. Le retour sur l’interrogatoire initial et les manipulations du prévenu sur le flic, les revirements entre confessions et mensonges, cet excès nauséeux de mots fait rappelle les échanges du Limier de Mankiewicz, auxquels on aurait retiré toute ambition comique et jubilatoire.
Au centre, un homme qui feint dans un premier temps d’écouter l’autre, pour tenter de contenir les élans de confession désespérée qui l’assaillent. Cette solitude absolue, qu’on retrouvera dans Serpico ou Le Prince de New York se double ici d’un pessimisme radical, qui annihilait le monde collectif dans Fail Safe & The Hill et se concentre ici sur une unique psyché malade. “Nothing I have done can be one half as bad as the thoughts in your head”, lui assène le suspect.
Connery, à l’origine du projet en en deal avec les studios qui le lui accordent en échange d’un James Bond, donne la pleine mesure d’un véritable rôle de composition : massif, inquiétant, déchiré. Le film sera d’ailleurs un échec cinglant. L’inquiétante étrangeté qui nous fait perdre pied avec lui n’est pas sans rappeler celle d’un des premiers Altman quelques années plus tôt, That cold day in the Park, et entérine l’irruption de l’ambiguïté dans le cinéma américain qui se fait dès lors âpre, étouffant, et profondément marquant.

Merci à Djee, à qui je dédicace cette critique.

http://www.senscritique.com/liste/Top_Sidney_Lumet/451058
Sergent_Pepper
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le 28 mai 2014

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Sergent_Pepper

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