Pourquoi ? Pourquoi les films de S. Craig Zahler ne sont-ils pas distribués en France ? Pourquoi sont-ils systématiquement relégués à un direct-to-video, pourquoi n’ont-ils pas droit à une vraie visibilité, une vraie reconnaissance ? Le dernier en date, Dragged across concrete, avec son casting de haut vol, son histoire de braquage qui tourne mal et sa maîtrise aussi aboutie qu’un Tarantino (Jackie Brown), un Friedkin (French connection) ou un Coen (No country for old men), ne méritait-il donc pas les honneurs des salles obscures en dépit de nombreuses critiques élogieuses (le film s’est fait remarqué l’année dernière à la Mostra de Venise et cette année au festival du film policier de Beaune) ?


Parce qu’en seulement trois films, Zahler peut se targuer d’avoir imposé un style bien à lui et revisité les genres (western horrifique, film de prison, polar urbain) avec intelligence et âpreté. Et Dragged across concrete d’affûter un peu plus ce style en confrontant cette fois deux flics sur la pente raide, un ex-taulard qui galère et des tueurs féroces s’écharpant pour un gros paquet de lingots d’or. En filigrane, Zahler décrit un monde à cran, imprégné d’un racisme ordinaire, qui s’est banalisé (pour telle ou telle raison et parce que chacun a les siennes), d’oppressions toujours plus fréquentes (maladie, contraintes sociales, manque d’argent, réseaux sociaux…) et d’un bonheur insaisissable, décidément illusoire.


On n’oubliera pas non plus (difficile en même temps de passer à côté) cette violence sèche toujours impressionnante, mais jamais esthétisée, qui vire au gore lors d’une scène très gratinée (comme celles de ses deux premiers films, et particulièrement celle dans Bone tomahawk). Et puis aussi cette ironie cruelle envers les personnages qui, chez Zahler et malgré tout l’attachement qu’il peut leur porter, ont très peu de chance de s’en sortir vivant (le sort réservé à Jennifer Carpenter frise ici le sadisme zélé). Le duo qu’il a créé avec Mel Gibson, parfait en version usée et désabusée de Martin Riggs (son rôle fétiche dans L’arme fatale), et Vince Vaughn, parfait en flic tranquille et minutieux (la scène du sandwich, géniale), est un pur bonheur de cinéma revisitant les codes du buddy movie que Zahler s’amuse à compiler puis à malmener.


Une chose également dont Zahler a désormais fait sa marque de fabrique, c’est le temps (Bone tomahawk et Brawl in cell block 99 duraient deux heures et quart). Ce temps qui prend son temps (Dragged across concrete, lui, dure plus de deux heures et demi) avec une action sans cesse retardée qui assure la force (et la limite) du film. Sa force parce qu’il permet la lente et implacable progression vers un déchaînement de violences (qui prendra toute son ampleur lors d’un final jubilatoire de presque une heure), et sa limite parce que le film se perd dans une mise en place un poil laborieuse (comme souvent chez Zahler) et quelques scènes étirées plus que nécessaire. N’empêche que Dragged across concrete offre un condensé parfait du cinéma de Zahler que l’on espère, un jour peut-être, découvrir sur grand écran.


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le 17 juin 2019

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