Film emblématique s'il en est, Un justicier dans la ville c'est l'un des morceaux de péloche qui a popularisé le Vigilante Flick ou, dans la langue de Christian Clavier, le Film de Justicier et qui a transformé Charlton Hest... heu... Charles Bronson, pardon, en icône du film d'action réac. Le jeune homme de 54 ans à l'époque était alors avant tout une figure ethniquement trouble (et non, il n'est absolument pas indien mais lithuanien) dans des westerns et des films de guerre mais avec un justicier dans la ville il débute une nouvelle carrière. Mais comme souvent il y a la légende et il y a le film, il convient de revenir sur ce qu'est vraiment Un justicier dans la vile, en tant que film.


L'histoire c'est celle de Paul Kersey, architecte New Yorkais dont la vie bascule le jour où une bande de voyous, parmi lesquels on trouve Jeff Goldblum pour son premier rôle au cinéma, pénètre son appartement pour y violer sa fille et tuer sa femme. L'ambiance est donc plombée d'entrée, surtout que cet évènement arrive très tôt dans le film et que la scène dure un certain moment. La police patauge et Paul Kersey a des bouffées de panique qu'il décide de calmer en nettoyant la ville de la racaille avec son kärcher à plomb. Le décor est planté, ça sent la peur, ça pue la mort et la pente est savonneuse. Si la justice y est aussi expéditive que dans Dirty Harry la grande différence est que le héros, Paul Kersey, n'est qu'un quidam là où Harry Callahan est une figure d'autorité officielle malgré les frictions avec sa hiérarchie. Evidemment le thème central du film est l'autodéfense mais comme Batman nous l'a montré ce n'est pas forcément un thème unidimensionnel et dénué d'intérêt. Poser la question n'est pas le problème c'est plus la façon dont elle est posée et la réponse apportée qui sont à étudier.



La ville qui ne dort jamais sur ses deux oreilles



Premièrement il convient de rappeler que si aujourd'hui New York est une destination de rêve pour des vacances hors de prix en famille, il n'en a pas toujours été ainsi. Pour la faire courte, les crimes et les violences dans la Grosse Pomme n'ont cessé de se multiplier à partir des années 70. La réputation de la ville était désastreuse, un véritable coupe-gorge à ciel ouvert. Le nombre de meurtre par an est passé de 548 en 1963 à plus de 1600 en 1973, soit plus de 4 par jours. Une phénomène qui s'est propagé jusqu'au milieu des années 90 avant de chuter avec l'arrivée de Rudolph Giuliani à la mairie. Mean Streets, Les Guerriers de la nuit ou encore Maniac, le New York de ces années-là c'était celui-là. L'insécurité urbaine est un vrai sujet de société et ce climat lourd est restitué par Michael Winner, le réalisateur, avec une majorité de scènes nocturnes, une ambiance glaciale et des malandrins à l'affût de la moindre opportunité. Au milieu de tout ça on découvre une police et un pouvoir politique débordés par ces phénomènes, traitant les choses comme ils peuvent. On note d'ailleurs ici aussi un autre point de divergence important avec Dirty Harry qui place son action à San Francisco non pas à cause de sa criminalité, même si dans les deux films on a un dialogue du maire sur les statistiques, mais parce que c'était le terrain de chasse du tueur du Zodiac.


L'aspect essentiel d'Un justicier dans la ville est que, contrairement à beaucoup d'autres films du genre et aussi contrairement à une idée reçue sur le film lui-même, ce n'est pas du tout un film de vengeance. La séquence de meurtre/viol est montré dans son intégralité pour bien installer le malaise et renforcer l'adhésion du public à la croisade de Kersey mais à aucun moment le personnage de Bronson ne va traquer les coupables, qui ne seront d'ailleurs jamais arrêtés. Ca déplace donc le récit vers une notion qui dépasse le simple sentiment de revanche que pourrait avoir le personnage et l'emmène donc vraiment sur la notion de justice personnelle. Au début on voit que c'est un mécanisme qui se met en place par peur, après un tel drame Kersey ne sent plus en sécurité dans sa ville. Puis petit à petit il prend la place du prédateur, frappe des criminels qui s'attaquent à d'autres que lui et il en vient carrément à leur tendre des pièges. Un justicier dans la ville c'est avant tout le portrait d'un homme ordinaire qui bascule dans la violence, à ce sujet le titre original Death Wish est d'ailleurs plus parlant puisqu'au fur et à mesure du scénario Paul Kersey méprise de plus en plus son intégrité physique et sociale au profit de sa traque des criminels, qu'il finit presque par pratiquer comme un sport.



Barre à droite



La trajectoire de Kersey est donc assez particulière et le fait de rester majoritairement collé à ce qu'il ressent offre finalement tout son intérêt au film. Si on évite les gros discours ostentatoires le film est néanmoins définitivement marqué par des relents réactionnaires. Tout d'abord Kersey est décrit comme un pacifiste au début du métrage, pire : il est objecteur de conscience. Mais la réalité va le faire basculer du côté des armes. Cette volonté de démonter une posture clairement dépeinte comme, au mieux, purement idéologique ou, au pire, démagogique, se retrouve dans le personnage du gendre. Non violent mais surtout lâche, il ne parvient jamais à avoir un discours suffisamment fort pour arrêter l'engrenage, lui aussi ne peut que constater son échec face à la dure réalité. D'ailleurs le seul moment où Kursey essaye de se justifier, indirectement, c'est en rappelant la nature de pionniers du citoyen américain, une stature d'autant plus facile à imaginer qu'à l'époque Bronson est encore pour beaucoup "le mec buriné des westerns". Le film ne saute cependant pas le pas d'affirmer que l'exécution sommaire est un droit fondamental. Et il y a enfin les flics du film, inutiles les trois quarts du temps ils se retrouvent face à un dilemme : les méthodes de Kersey marchent, le crime baisse en ville. Il n'en faut donc pas plus pour que les agissements du justicier, répréhensibles aux yeux du droit en 2016 comme en 1974, soient officiellement couverts pour améliorer les statistiques officielles. Le discours jongle entre la compassion de l'inspecteur chargé de l'enquête pour le drame qui touche Kersey et un certain cynisme politicien de la part de ses supérieurs, les autorités ne valident pas réellement les méthodes, elles cherchent principalement à ne pas perdre la face.


Il y a donc quelques détails qui ne sentent pas très bon mais c'est d'avantage sur le fil du rasoir que les pieds dans le plat que le film avance. Une certaine ambiguïté que l'on retrouve dans le plan final qui nous montre Paul Kersey à la gare de Chicago entrain de mimer un tir en direction de voyous trop fiers d'eux. Probablement le seul moment où Bronson délivre une vraie intention d'acteur, mou et pas très concerné le reste du temps il donne à ce dernier regard une tonalité étrange, inquiétante. Paul Kersey serait-il tout simplement fou ? A-t-il définitivement perdu pied avec la réalité ? De questions mais pas réellement de réflexion. En effet Kersey ne commet pas d'erreurs, il ne punit/blesse que des coupables avérés et les criminels sont complètement déshumanisés, jamais on ne va chercher de l'autre côté du miroir, même pas symboliquement comme pouvait le faire avec talent un John Carpenter dans Assaut. Au moins on évite le piège de la justification raciste puisque les différents loubards croisés et abattus sont indifféremment noirs, blancs ou un peu des deux.



Dans l'ombre des géants



Outre cette propension au manichéisme, et le fait que Bronson se cache derrière sa moustache pour jouer à minima, l'autre souci du film est qu'il est pas super bien branlé. A l'image de sa star, Un justicier dans la ville est assez mou, il n'est pas complètement honteux mais il est sans idée en terme de mise en scène et de montage. On sent bien la volonté de faire quelque chose de réaliste mais ça ne fonctionne qu'à moitié. Il suffit de remonter deux ans dans le passé, en 1972 donc, pour trouver William Friedkin et son French Connection, polar à tendance réaliste autrement plus percutant et inventif. Même au niveau de la narration tout n'est pas fluide: la pertinence de la police pour repérer un justicier solitaire au bout de seulement 3 meurtres dans une ville qui en compte plus de 4 par jours laisse songeur... surtout quand on voit juste après que les mêmes forces de police semblent consacrer un commissariat entier à cette traque dont le seul fondement est une intuition. Des errances qui ne sont pas imputables à l'époque ou au contexte mais bien aux personnes impliquées dans le projet, il ne faudra par exemple pas longtemps pour que le thème de l'autodéfense trouve de pointures avec Taxi Driver en 76 ou Rolling Thunder en 77, deux films écrits par Paul Schrader. Un constat de platitude pour Un justicier dans la ville qui s'intensifie quand on sait qu'au départ c'était le grand Sidney Lumet qui devait réaliser le projet. On imagine alors ce qu'aurait pu devenir cette histoire dans les mains du réalisateur de Serpico. Hélas, en l'état Un justicier dans la ville n'est que l'esquisse du grand film qu'il pouvait être.


Mais l'histoire s'est écrite autrement, le petit film bancal est devenu un succès monstre, principalement grâce à une violence dépeinte sans trop de subtilité. Si ce premier volet des aventures de Paul Kersey arrive à poser ses thématiques et son récit en gardant un certain équilibre et un ainsi un minimum d'intérêt ce ne sera pas du tout le cas de ses suites. Avec Un justicier dans la ville c'est aussi une nouvelle forme d'art qui voit le jour, une école de pensée encore un peu hésitante mais qui va s'affirmer et s'épanouir avec le second volet. Les verrous vont sauter, les barrières vont tomber, et la saga Death Wish/Un justicier dans la ville va se décomplexer pour basculer sans retenue dans le craignos, autant idéologique qu'esthétique... c'est le début de la Bronsonsploitation.


Si vous en voulez encore, vous pouvez (re)lire la critique sur Un justicier dans la ville 2 ou celle d'Un justicier dans la ville 3

Vnr-Herzog
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le 18 avr. 2016

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