Virgin Suicides fait partie de ces films qui ont fini par être supplantés par leur bande-originale. Vu à sa sortie en 1999, ses images ont fini par de dilater dans la musique du groupe Air qui a fait son chemin dans les OST indispensables, celles qui acquièrent avec le temps une autonomie totale.
Revoir le film occasionne donc une curieuse relecture, les retrouvailles entre des plages sonores et l’univers visuel qui les a générées.
Toute la première partie du récit fonctionne en ce sens à merveille : ouatée, d’une mélancolie annoncée dès son titre, l’ambiance est au mystère dont se teinte l’âge adolescent et ses tourments opaques. En optant pour le point de vue des garçons et leur lecture parcellaire du drame, petits fétichistes se contentant des miettes (journal intime, voyeurisme, conversations étiques), la jeune réalisatrice parvient à faire surgir le charme absolu de ces inaccessibles jeunes filles. Le jeu sur le kitsch et l’imagerie adolescente, particulièrement développé autour de l’icône en devenir Kirsten Dunst, assume ainsi une double fonction : à la fois projection de l’imaginaire des garçons où se dispute l’érotisme et l’émotion, et regard du spectateur prêt à ces séquences nostalgiques qui lui rappellent une période révolue, certes pas aussi innocente que ça, mais qui puisait son intensité dans les illusions qui la berçaient.
Très proche du clip, forcément, tant la musique et les images sont en adéquation, Virgin Suicides fonctionne aussi par sa gestion temporelle décousue en apparence : récit rétrospectif, effets d’annonces sur les suicides et les premières qui seront des ultimes fois (la fête, le bal de fin d’année, les baisers…) retour par les témoignages de personnages vieillis, notamment l’emblématique Trip Fontaine qui semble bien perdu 25 ans après : cette restitution parcellaire saisit bien les enjeux du film annoncés dès le premier plan où la beauté d’un arbre dont les branches jouent avec le soleil se voit bafouée par un sticker rouge annonçant son abatage imminent.
Mais ce jeu avec les points de vue et les époques semble un peu effrayer la narratrice, qui laisse s’installer un récit beaucoup plus linéaire et, reconnaissons-le, convenu, dans toute la partie centrale du film, dès l’arrivée de Trip et jusqu’à l’enfermement des sœurs. L’intérêt s’émousse un brin, les enjeux sont plus classiques l’imagerie américaine (prom queen, fugue, parents rigoristes, médias charognards…) sur les rails. Certes, de belles séquences reprennent cette intention initiale au départ, notamment dans l’échange téléphonique entre les jeunes via des vinyles et le projet de départ qui joue sur la libération par le voyage et la mort dans un même mouvement assez émouvant. Mais l’équilibre général et le tact s’en trouve affaibli et l’on sent que la réalisatrice a eu du mal à faire certains choix.
Restent, avec la musique, les images essentielles d’un monde inaccessible : celui de la beauté, du silence, du désir, de la liberté, et de l’indicible élan vers la mort qui finit par les exaucer.