“A Romantic Papa” film réalisé par Shin Sang-ok, 1960, titre original : 로맨스 빠빠.
LE FILM
Un homme est surnommé « Romantic Papa » par ses cinq enfants, c’est un employé vieillissant d’une compagnie d’assurance. Ce personnage interprété par Kim Seung-ho file une vie simple et heureuse, jusqu’au jour où il perd son emploi à cause d’un nouveau directeur qui licencie à tour de bras. Ses revenus pourtant modestes lui permettaient jusque-là d’assurer une existence décente à ses enfants déjà grands, bien que pour quatre d’entre eux encore étudiants. Ne voulant pas perdre la face, malgré son attitude joueuse et détendue qui le caractérise, le vieil homme dissimule aux siens la réalité critique de sa situation. Certaines scènes sont de véritables perles, au delà du simple aspect de la mise en scène du film, notamment sur le plan théâtral — idée qui imprègne toute l'œuvre. Chaque interprétation est parfaitement dosée et délicieusement intense, nous nous retrouvons plongés dans ce cercle familial illustré avec minutie et émotion.
Shin Sang-ok a choisi de révéler la théâtralité de ce drame familial, et ce, dès les premières minutes, où chacun des membres de la famille se présente sur le devant d’une scène aux rideaux fermés. D’abord un prénom, un rôle au sein de la famille, des anecdotes, puis l’on passe à la présentation d'un autre personnage — ce qui peut largement rappeler les génériques filmés de Sacha Guitry, dont le style et l'élégance installait le paysage dès les premiers instants. C'est cette idée de savoir distancier son spectateur et à la fois de l'inclure dans une fiction tout en cultivant avec lui une proximité singulière. Cette mise en introduction accomplit une immersion directe, tout en posant les fondements d’une atmosphère détendue, rendue confortable. Shin Sang-ok fait également preuve d’une réelle intelligence de mise en scène en prenant appui sur des situations pour multiplier les procédés visant à soustraire son film aux conventions mélodramatiques attendues. L’écriture est totalement irréprochable, dotée d’une telle efficacité que nous pouvons passer du rire aux larmes en l’espace de quelques minutes. C’est en somme un chef-d’oeuvre cinématographique tout à fait inoubliable, qui peut amplement prétendre à la reconnaissance et au statut des plus grands films de tous les temps.
LE REALISATEUR
Cinéaste dont la biographie semble digne d’un roman d’espionnage, Shin Sang-ok était un réalisateur et producteur sud-coréen, qui fut une figure centrale du développement cinématographique de son pays. Il est notamment intervenu dans l’après-partition de la Corée et développa surtout sa pratique entre 1950 et 1970. Il passa des films historiques aux comédies, puis des mélodrames aux films de fantômes, etc. Sa femme est la fameuse Choi Eun-hee, qui se trouvera également être sa muse et son actrice fétiche, tout au long de sa carrière. Il est aussi, au sein de son studio et d’une industrie renaissante après les destructions de la Guerre de Corée, un formateur, capable d’exercer lui-même plusieurs fonctions techniques, et par là même un artisan incontournable de son temps.
Shin Sang-ok est, pendant un temps, plutôt dans les bonnes grâces du pouvoir. Mais il est littéralement mis à pied par le dictateur Park Chun-hui dans les années 1970 pour avoir protesté contre la censure fréquente de ses films, suggérant de remplacer les séquences coupées par des plans noirs. Il doit alors fermer son studio en 1974. Ses compétences multiples éveillent sans doute l’intérêt de la Corée du Nord qui a besoin d’un dirigeant de studio, capable d’encadrer des équipes pour professionnaliser une industrie balbutiante dans un pays dont l’image internationale est très négative. Il est dit qu’au cours d’un exil forcé au Japon, puis à Hong Kong, Choi Eun-hee et Shin Sang-ok auraient ainsi été enlevés par les services secrets de la Corée du Nord (KCIA), dans des conditions très douteuses, et parsemées de zones d’ombres aujourd’hui encore… Leur “évasion” en 1986 vers les USA reste également un mystère, qui conduira le cinéaste à travailler pour le cinéma américain avec des productions alimentaires médiocres (la plupart du temps destinées aux enfants). Shin Sang-ok et son épouse retournent finalement à Séoul en 1993, et y resteront jusqu’à la fin de leurs vies.