Les limites de la provocation ou comment gâcher un film de génie

Tant de choses ont été dites sur Antichrist. Le film qui soulève les passions pour des raisons autant formelles que morales. Dans le traitement de l'image et des différents niveaux de réalité, le film renvoie au Miroir de Tarkovski à qui le film est dédié, au-delà de ça, on retrouve le goût du choc et de la provocation assez cher à Lars Von Trier. Et bien que j'apprécie les "coups de pied dans les couilles" cinématographiques, je suis d'accord pour dire qu'ici, c'est parfois trop, d'un point de vue esthétique, pas nécessairement éthique.

Pour moi Antichrist est d'une intelligence redoutable, l'opposition entre deux mondes: la rationalité du psychologue et la folie progressive de sa femme qui finira par le contaminer lui-même. Je ne rejoint pas les critiques de ceux (et principalement celles) qui ont fait de ce film un film anti-féministe, même si au milieu des nombreuses références bibliques on trouve bien sûr celle de ce couple, sorte d'Adam et Eve (les seuls dont on voit le visage) au milieu de l'Eden ; référence donc au péché originel + la femme qui devient peu à peu hystérique (vous savez, cette maladie imputée aux femmes il y a quelques temps).

Mais le film ne propose pas de morale ici (si ce n'est, quand tu es médecin, n'essaye pas de guérir ceux que tu aimes) mais invite simplement le spectateur un jongler avec une distinction très forte entre le monde du rationnel et les forces métaphysiques qui nous sont présentées ici. L'erreur du médecin est de se placer constamment dans un plan rationnel et d'être ainsi complètement sourd au discours de sa femme ; or, d'autres forces sont en jeu. Ces forces sont à peine perceptibles, et se fondent dans le film au milieu de la tentative de rationalisation du médecin ; le spectateur lui ne sait jamais où se situer et s'accroche à ce qu'il peut: au départ, l'homme puisqu'il est plus facile à identifier, mais de nombreux indices parsèment le film, et des questions se posent: à qui appartiennent les hallucinations? La folie de la femme est-elle toujours post-traumatique ou a-t-elle un rapport avec son sujet d'étude? L'enfant était-il le diable? La femme est-elle le diable?

Jamais on ne saura vers où se tourner: le rationnel? L'irrationnel? Et ce jusqu'au prologue: l'homme a-t-il rejoint la folie de sa femme? Ou a-t-il vaincu le diable (la scène étant filmée comme une épiphanie)?

Dans son contenu, Antichrist s'avère être à mes yeux une oeuvre précieuse... Mais dans son traitement, Von Trier se noie dans ses vices, et nous inflige d'inutiles tortures, souhaitant nous montrer jusqu'où peut aller son expérience de l'angoisse (puisque le film avait pour lui et lui-seul une valeur thérapeutique). Les scènes sont loin d'être inutiles cependant, et aurait mérité un traitement plus subtil, moins démonstratif qui n'aurait en rien affecté leur efficacité. C'est dommage, il fait d'un film fascinant une expérience désagréable ; le film a selon moi de sérieux défauts esthétiques et je ne parle pas seulement des scènes super dégueulasses. Le mec reste un génie ceci étant dit (et un grand malade, certes).

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le 26 sept. 2013

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LeJezza

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