Lorsque Christopher Nolan s'empare du personnage de Batman, le « Caped Crusader » a déjà derrière lui une existence cinématographique conséquente : deux fois deux films, par Burton d'abord, puis par Schumacher, qui ont ancré la figure du chevalier noir comme objet de cinéma, pour le meilleur et pour le pire. Passons sur les qualités et défauts de ces précédentes adaptations –Nolan, comme pour les évacuer lui-même, reprend tout à zéro : « Batman Begins », c'est avant tout la refonte d'un mythe, le récit des origines repensé, revisité ; c'est la volonté de donner au Dark Knight un nouvel élan. D'où l'importance structurelle de la narration, dans un film qui surprend déjà par cette envie de raconter, qui s'éloigne d'un tournage en studio pour faire prendre l'air à son héros naissant. Ainsi, Gotham se laisse désirer : entraperçue le temps de la traditionnelle scène matricielle –la mort des parents-, la ville disparaît ensuite au profit du plus total dépaysement. Bruce Wayne s'éloigne, se perd, et c'est le récit de cette progressive étrangeté à soi qui occupe toute la première partie du film –pour que Batman naisse, pour lui laisser la place, il faut que Bruce Wayne meure, peu à peu. Et Nolan met toute son ingéniosité, son intelligence et son savoir-faire visuel pour faire de cette initiation l'amorce épique qu'elle doit tendre à être. « Batman Begins » insuffle une vie nouvelle au mythe, au sens premier du souffle, de la force motrice qui guide toute narration. Batman doit prendre de la vitesse dans ce premier opus, conçu comme le prologue d'une trilogie, avant de totalement ouvrir ses ailes dans « The Dark Knight », avec l'ampleur qui conviendra à sa nouvelle stature. C'est pourquoi il faudrait, à mon sens, ne voir dans « Batman Begins » que la brillante introduction, parfaitement maîtrisée, à l'histoire du chevalier noir –comme porte d'ailleurs à le croire la fin du film, qui annonce déjà la présence du Joker comme meilleur ennemi d'un Batman enfin pleinement là. Par sa discrète touche de gothique (la présence de l'épouvantail et ses hallucinations, le design d'une Gotham enfumée, encore marquée par l'influence burtonienne, les couleurs noir, rouge et orange), le film se pose en jalon de transition entre deux esthétiques : celle des films passés et celle du film à venir, plus moderne.