Retour au foyer
Précédé de sa réputation de grand classique du western américain La Prisonnière du désert m'a pourtant quasiment laissé de marbre voire pas mal agacé sur la longueur. Vanté par la critique et les...
Par
le 21 août 2016
44 j'aime
9
La jeune Isabelle Tollenaere réalise là un objet filmique peu banal, perdu quelque part entre la radicalité du cinéma de James Benning et la flamboyance des documentaires de Werner Herzog. Battles est une oeuvre à l'image de son titre à la fois lapidaire et terriblement évocateur ; un morceau de cinéma de forme rêche mais saisissante, dont la structure chapitrée nous intrigue de prime abord pour finalement nous leurrer dans son agencement moralement discutable... Ainsi la réalisatrice consacre les premières minutes de son métrage à l'arme de destruction massive, la filmant comme on filmerait un tubercule terreux ou un vulnérable avorton à manipuler avec les plus grands soins.
S'ensuit un second chapitre s'attardant sur l'humain et ses activités liées pour la plupart au sujet-titre : entraînement militaire au coeur d'un camp, embardées automobiles hypnotiques ou encore mise en situation dans un environnement forestier. Le travail sur les couleurs grises, parfois proches du sépia, se conjugue à un système de transparence que Isabelle Tollenaere réutilisera dans les deux chapitres suivants, pour mieux suggérer l'omniprésence visible en filigrane de ces guerres de terrain. A noter donc que le matériau précède l'organique dans ce docu-fiction à la fois contemplatif et terrifiant, film au sein duquel le regard de cinéaste va de paire avec une utilisation glissante et fortement conductible du son pour le récit.
Isabelle Tollenaere propose un troisième chapitre qui ajoute un nouveau malaise à son propos, économe en termes de verbe mais profondément éloquente dans ce qu'elle cherche admirablement à traduire par l'image : l'humain s'est replié chez lui, dans sa maison apparentée ici à un bunker où toutes les tensions belligérantes se dessinent tranquillement mais dangereusement. Ainsi les vieillards croupissent devant des postes de télévision assassins semblant fonctionner en boucle, les petits garçons collent leur pistolet en plastique sur la tempe des nourrissons... A peine quelques visions fugaces d'un ciel étoilé viennent atténuer ce cauchemar pratiquement filmé en sourdine par la réalisatrice, sorte de gigantesque champ de bataille(s) moins conceptuel qu'il n'y paraît et plus dense et épique qu'il ne le semble a priori.
Le quatrième et dernier chapitre, intitulé "Un tank", présentera tout l'engrenage absurde des préparatifs de la, de toutes les guerres. La réalisatrice force ici le caractère documentaire de son film jusqu'alors davantage fictif et quasiment mutique, en embarquant sa caméra dans les usines produisant de curieuses machines de guerre. Baudruches géantes d'avions de chasse, ectoplasmes trouvant un triste écho dans d'improbables ballons de fête foraine... Cette dernière partie montre ainsi le versant populaire et profondément aveugle de la guerre sous toutes ses formes, mais principalement lorsqu'elle n'est que pacotille ou vulgaire faribole. Un monde où la jeunesse fredonne innocemment des refrains va-t-en-guerre, confondus dans la grisaille d'un sous-bois déserté...
Voilà donc un film remarquable, proche de l'épopée plus que du reportage mais quasiment indispensable pour qui aime les oeuvres réflexives et riches à bien des égards. Isabelle Tollenaere signe un OVNI redoutable et graphiquement passionnant, finalement assez unique en son genre et surtout d'une grande puissance mémorable. J'ai adoré.
Créée
le 14 avr. 2021
Critique lue 25 fois
Du même critique
Précédé de sa réputation de grand classique du western américain La Prisonnière du désert m'a pourtant quasiment laissé de marbre voire pas mal agacé sur la longueur. Vanté par la critique et les...
Par
le 21 août 2016
44 j'aime
9
Immense sentiment de paradoxe face à cet étrange objet médiatique prenant la forme d'un documentaire pullulant d'intervenants aux intentions et aux discours plus ou moins douteux et/ou fumeux... Sur...
Par
le 14 nov. 2020
38 j'aime
55
Nice ou l'enfer du jeu de l'amour-propre et du narcissisme... Bedos troque ses bons mots tout en surface pour un cynisme inédit et totalement écoeurrant, livrant avec cette Mascarade son meilleur...
Par
le 4 nov. 2022
34 j'aime
6