Déjà 15 ans que l’ombre d’Alejandro González Iñárritu plane sur le 7ème art avec passion et bienveillance. Dans sa collection, quelques succès parmi lesquels Amours Chiennes, 21 Grammes, Babel et Biutiful, des films compacts emmenés par des héros tourmentés. Cette année, il y ajoute Birdman, comédie mordante détourée sur fond de drame et modérément trempée dans le fantastique.
L'histoire d'un acteur déchu ayant jadis incarné un super-héros et souhaitant revenir sur le devant de la scène en montant une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue, cependant qu’il se retrouve confronté à ses proches, son passé, ses doutes, ses rêves et son ego. Un fabuleux moment de cinéma récompensé par 4 Oscars, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur. Et donc. Cette foule de choses à dire…
De prime abord : scénario brillant et mise en abyme ingénieuse entre l’histoire et ses interprètes. En ce sens, le choix de Micheal Keaton, apparaît comme la meilleure idée du film. Non seulement parce que l’acteur revient de loin depuis le temps où il enfilait les collants de Batman sous l’égide d'un certain Tim Burton, mais également parce que son interprétation de Riggan Thompson défie celle des plus grands, et le nomine aux Oscars dans la catégorie du meilleur acteur (qui lui a d'ailleurs valu un moment gênant au moment d'annoncer le vainqueur). D’un regard, ou d’un geste fébrile, notre homme rallie les extrêmes avec une aisance presque juvénile. Et le fait sur 2 heures. Non-stop.
Mais Keaton n’est pas seul. A ses côtés, Emma Stone, Zach Galifianakis et Naomi Watts excellent à la réplique, sans oublier un Edward Norton parfaitement odieux, et une voix spectrale hypnotique dans la tête de Riggan. Mais au-delà de leurs jeux respectifs, le talent de tous est à saluer pour toutes les contraintes qu’implique un tournage entièrement réalisé en plan-séquence, soit l’autre intérêt du film.
Un challenge de taille, surtout quand on sait la charge de travail nécessaire en amont pour gérer une telle entreprise, ne serait-ce que pour planifier les bons cadrages, et s’adapter aux jeux des acteurs, sans compter toutes les équipes techniques à diriger autour pour un projet de cette envergure.
En résulte un plan séquence de deux heures parfaitement millimétré et illusoirement découpé par le biais de transitions disséminées çà et là dans l’ensemble, dont l’esthétique est taillé au diapason : la photographie est splendide, le cadrage parfait, et la fluidité reine à chaque seconde. La caméra flotte tel un oiseau dans l’espace scénique, plane sur les moments de doute et migre d’une émotion à une autre sans changer de plan.
S’en trouvent ainsi renforcées la dimension théâtrale et l’intensité des dialogues, comme si le spectateur pénétrait dans la bulle émotionnelle des acteurs sur la scène, et vivait l’expérience de l’intérieur. Le tout se déroulant sur une partition rythmique quasi-exclusivement composée de batterie, connotant l’excitation de l’acteur en coulisses juste avant qu’il ne s’envole dans son voyage avec le public.
Pour autant - et c’est là que s’inscrit notre paradoxe - Birdman ne m’a pas transporté comme je l’espérais. Je n’ai pas ri comme mes voisins de salle, et ne me suis pas senti habité par la tension en plateau ainsi que le voulait Iñárritu dans sa volonté de proximité avec les personnages. J’avoue donc ne pas en avoir retiré tous les effets à 100%, même si, finalement, la qualité multicanale du film et le propos général qu’il soulève m’ont laissé pantois d’admiration. Bref, j’étais sur le cul.
Car Birdman est avant tout une prouesse technique, qui déploie foule de réflexions sur les réseaux sociaux, l’éphémérité de la gloire et l’égocentrisme de l’être humain, thèmes chers à Alejandro González Iñárritu. Ainsi, par cette œuvre détonante. Par sa vision décoincée du cinéma contemporain. Par la complexité de ses personnages. Et par son style unique. Le mexicain est, depuis quinze ans, de ceux qui comptent pour le cinéma. Et le cinéma l’en récompense : petit à petit, l’oiseau fait son nid…