Remarquée pour l’étonnante justesse de ses précédentes réalisations (Le parasol, La morsure et La permission), Joyce A. Nashawati a présenté son premier long-métrage, Blind Sun (ex Heatwave), à l’occasion de la cinquième édition du Paris International Fantastic Film Festival. Née au Liban, la néo-cinéaste a partagé son enfance entre le Ghana, le Koweït et la Grèce, avant de partir étudier en Angleterre pour finalement s’installer en France. Une partie de cette diversité culturelle est insufflée dans son film – et ce n’est qu’un fragment parmi d’autres de l’intimisme de l’œuvre. Consciemment désarticulé par une narration fluctuante, Blind Sun suit la dérive d’Ashraf (Ziad Bakri), un immigré acariâtre chargé de garder une villa grecque en l’absence de ses propriétaires. La demeure est située près d’une station balnéaire meurtrie par un été caniculaire… et l’eau, gérée par une société privée (Blue Gold), est excessivement rationnée. La chaleur éreintante, la déshydratation et l’isolement vont entrainer la dégénérescence mentale du gardien, avant de le précipiter dans la paranoïa…
Blind Sun propose une expérience sensorielle, en employant avec maestria toute l’excentricité de sa trame dramatique. L’esquisse matricielle – un film d’horreur prenant place dans un cadre diurne et lumineux – favorise d’emblée l’entrée dans un monde en apparence similaire au nôtre, mais larvé d’éléments perturbants s’érigeant en réminiscences de la Twilight Zone. Oeuvre éminemment passionnelle, Blind Sun génère, via l’exploitation de cette divagation spatio-temporelle, une communion entre le spectateur et la figure nodale du récit (un étranger concrètement – et symboliquement – privé d’identité, livré à l’ardeur des éléments et s’exprimant en trois langues qu’il ne maîtrise pas). Cette connexion est corroborée par la vigueur sensitive de la mise en scène : la photographie dirigée par le vénérable Giorgos Arvanitis traduit l’aridité environnante en exploitant une lumière aveuglante, transperçant l’ombre précieuse qu’offre la villa et faisant du soleil un antagoniste à part entière ; l’ambiance sonore souligne quant à elle l’aliénation d’Ashraf, tandis que des nappes bruitistes soutiennent la singularité de l’univers présenté. Le montage de Sébastien Prangère (collaborateur récurrent de Christophe Gans et de Pascal Laugier) accroît pour sa part la sensation de perte de repères en juxtaposant abruptement des séquences à première vue opposées, excentrant ainsi l’œuvre de toute temporalité.
Joyce A. Nashawati égare ses comédiens dans ce monde tortueux et capture l’incongruité des actes des protagonistes qu’ils incarnent. La frontière entre la tangibilité et le fantasme est délicate dans Blind Sun – et la cinéaste d’affiner davantage la limite entre réalité et fiction en isolant Ziad Bakri du reste de l’équipe durant le tournage pour mieux rapprocher l’acteur de son personnage… Si les démarches susmentionnées témoignent d’une maîtrise de l’œuvre par son auteure, force est de constater que ce premier long-métrage n’est pas exempt de défauts. Via l’emploi sublime de décors méditerranéens et une luxuriance d’éléments troublants, l’univers de Blind Sun génère une certaine fascination… mais si l’écriture du film est sciemment nébuleuse, sa longueur, favorisant d’une part la puissance de la dégradation d’Ashraf, génère d’autre part un rythme pouvant plonger le spectateur dans une langueur agaçante. D’aucuns diraient que cette langueur consolide la connexion de ce dernier avec le personnage principal, mais ce serait oublier qu’elle désamorce toute l’angoisse (vainement) servie par le long-métrage. Blind Sun n’éveille jamais la moindre peur, mais était-ce réellement son but ? Quoi qu’il en soit, ce premier essai confirme un talent aussi précieux qu’intriguant. Aux antipodes de l’exercice de style stérile, Joyce A. Nashawati livre un film fantastique avant-gardiste – offrant aux sens ce qu’il ne souhaite pas imposer à l’esprit.