Lincolm Rhyme, criminologue tétraplégique de la NYPD, met la main sur les preuves réunies par la jeune policière Amelia Donaghy. Impressionné par ses qualités légistes, il insiste pour l’intégrer à cette enquête. Elle se retrouve aux trousses d’un meurtrier conducteur de taxi laissant une piste de messages médico-légaux les menant de meurtres en meurtres dans une course contre la montre qu’il semble difficile de gagner.
Film policier agréable à regarder. De bons acteurs, un bon rythme tenu jusqu’à la fin, une enquête intrigante et un tueur morbidement spécial. Cependant, est-ce qu’on peut apprécier simplement l’histoire d’un film sans se poser la question du message qu’il nous laisse ?
Premièrement, la jeune rookie Amelia Donaghy (Angelina Jolie). Intelligente, travailleuse, une attention aux détails aiguë et une belle tête de mule. Père policier qui s’est tué. Personnage intéressant et filmique, autant dans ses punchlines que par la tragédie qui se lit sur ses traits. Au début de ce film, elle est sur le point d’obtenir la carrière policière qu’elle s’est construite (et choisi !) dans un service jeunesse. Son intérêt pour ce département est balayé d’un revers de main, moqué, elle est culpabilisée et forcée par ses collègues à travailler sur cette enquête sous prétexte d’un don la rendant nécessaire à cette enquête, malgré ses protestations. Apparemment elle finit par apprécier cela donc le film passe rapidement sur le fait qu’un vieux tétraplégique aussi têtu qu’elle lui dit ce qui est bien pour elle, et qu’il est en cela soutenu par tout le monde. Bon.
Bien qu’elle ait l’air d’un côté de vite prendre ses marques et savoir donner des ordres autour d’elle, elle passe une bonne partie du film à demander à son mentor tétraplégique ce qu’elle doit faire. Finalement elle n’a l’air de développer un libre arbitre et un individualisme que dans les situations soit où il lui demande quelque chose d’absurdement hors de ses cordes (couper les mains d’une femme morte pour récupérer ses menottes), soit où elle est contrainte d’agir sans lui (coupure de réseau et devoir le sauver, bien que dans ce cas elle aurait probablement du appeler des renforts vu qu’elle était à l’autre bout de la ville…). Bien que la relation mentor/protégé implique une certaine passation de compétences (et ici pas réellement de savoir d’ailleurs), elle implique aussi pour le protégé de développer sa manière propre de penser et de se libérer des contraintes imposées par son « maître » pour aller plus loin. Or là, l’élève ne dépasse pas le maître, ce qui est un peu décevant en terme d’arc narratif.
Si d’ailleurs on lit bien la relation qu’on voit à l’écran entre ces deux là, il y a un gros problème éthique avec la connexion romantique qui se crée entre Rhyme et Donaghy. On ne peut pas parler d’écart d’âge parce que les personnages ne paraissent éloignés que par leur expérience dans la police – lui un criminologue ayant écrit 12 livres (ce qui suggère quand même qu’il n’est pas tout jeune), elle sortant tout juste des tâches d’entrée à la police et en début de spécialisation. Est-ce qu’une relation élève/professeur est moralement acceptable ? S’il n’y a pas d’emprise ce serait un peu moins discutable, mais vu qu’il a l’air de savoir ce qui est bon pour elle mieux qu’elle-même et qu’on est certainement pas arrivés au stade où elle vole de ses propres ailes professionnellement, je reste dubitative. Et absolument aucune remise en question. Sachant que rien n’est directement montré, juste suggéré, je n’irai pas jusqu’à dire que ce soit choquant, surtout quand on sait que c’est un film produit par des hommes, réalisé par un homme, scénarisé par un homme qui lui-même s’est basé sur un livre écrit par un homme. Soupir.
Ensuite, je me questionne notamment sur ce que ce film nous laisse par rapport au questionnement sur l’euthanasie. On a un tétraplégique qui ne peut bouger que deux doigts (probablement plus qu’un à la fin du film !), son visage et une épaule, et que la moindre crise (ce qu’il a fréquemment), pourrait transformer en légume. Au début du film il a donc fait le choix et pris ses dispositions pour mourir dignement. Or à la fin du film il a abandonné l’idée car il semble avoir été comblé par les évènements qui lui ont fourni de la distraction, l’opportunité de transmettre à Amelia, et celle de se rapprocher d’elle. Outre le fait qu’on pourrait y voir que, comme quoi, une semaine de plus et hop tout peut s’arranger donc mourir par choix = pas cool, je trouve qu’aucune scène ne justifie vraiment ce regain de goût pour la vie. Maintenant je n’irai pas dire que ç’aurait été mieux s’il s’était tué, juste que je trouve difficile qu’un homme qui a écrit toute sa vie et travaillé pour la police depuis longtemps, trouve le salut dans une enquête de plus, juste parce qu’il y a une jeune élève par qui il est attiré qui lui redonne goût à la vie. Et que tant qu’à foutre un de ses héros principaux dans un lit de mort les 3/4 du film, il est bizarre d’abandonner l’axe de l’euthanasie dans un twist sans s’y attarder plus de quelques secondes.
Maintenant, parlons de la confiance qui règne au sein de la police ! Un ex-policier du fin fond de son lit ordonne à sa jeune recrue, une policière sans aucune expérience médico-légale mais avec un bon flair, d’elle-même couper la main d’une victime parce que les ME (Medical Examiner, aka ceux dont c’est le job) mettent leurs empreintes partout où ils vont. Moué. Rappelons nous qu’elle a fait tomber une preuve cruciale sur le corps d’un homme tout transpirant, hein, et aussi qu’à la fin elle n’a pas de gants pour les dernières preuves, même celles qu’elle a trouvé avant d’être forcée de les fourrer dans sa poche pour les cacher. On justifie donc le choix scénaristique d’avoir cette jeune sans expérience comme première (et donc seule puisqu’apparemment après les scènes sont foutues) spectatrice des scènes de crime. Personnellement, j’aurais préféré que les raisons qui font d’elle quelqu’un de réellement unique pour ce job aient été plus creusées que « tous les autres sont mauvais ».
Le chef de police est joué par Michael Rooker, Merle Dixon de Walking Dead avant l’heure, mais sans sa force de caractère de merde, bien qu’il y ait tentative, ni l’ambiguité appréciable de Yondu du MCU ! Il est présenté comme l’archétype du policier/tank qui fonce tête baissée, alors que sa trouvaille d’empreintes digitales sur un des indices, moquées par nos héros parce que le méchant ne laisserait pas d’empreintes sans l’avoir fait exprès, mène à un corps de plus. Rappelons que, jusqu’à présent, nos héros n’ont pas été foutu de trouver mieux que des corps non plus. Mais du coup bizarrement pas d’indice sur celui là. Il est peut être donc vraiment incompétent. Et puis il est vrai qu’il est vraiment par ailleurs doté d’un caractère antipathique irrachetable.
Pour finir, il manque une vraie approche psychologique à cette enquête, un peu de profiling à la Mindhunter. Là tout ce à quoi on a le droit c’est des indices qui nécessitent quelqu’un avec une mémoire des cas new-yorkais assez impressionnante et de la recherche, ce qui mène à Rhyme. Avec un peu de logique. Pas de vrais puzzles (à part celui où il faut assembler 3 pièces de papiers wouhou !), seulement des indices créés pour lui et qui ne nous procurent pas de réels casse-têtes puisqu’on ne pourrait savoir ces simples faits.
Du coup, notre esprit paresseux n’a pas à se questionner très dur sur le « qui ? », et quand on voit Richard pour la deuxième fois alors que son apport semble n’être ni plus ni moins que celui d’un technicien de maintenance sympathique, notre sang ne fait qu’un tour et à la fin quand on voit que c’est lui on réprime un Hallelujah sans saveur parce que trop facile car unique potentiel suspect parmi les personnages. Quoique le collègue d’Amelia qui regardait par sa fenêtre parce qu’elle ne répondait pas au téléphone, juste après qu’on se soit rendu compte qu’elle était suivie par la caméra subjective du meurtrier, était pas mal comme suspect aussi.
Et la justification des meurtres parce qu’il y a des années le tueur s’est fait mettre en taule par Rhymes parce qu’il avait falsifié des preuves laisse sérieusement à désirer, d’autant qu’il y a une différence entre se venger et tuer et torturer une dizaine d’innocents de tout âge pour le faire. Un certain degré de mégalomanie de différence, non traité ici.
Qui plus est, l’aspect sociologique d’une ville comme New York en proie à un taxi tueur est, lui aussi, négligé. Quid de ces businessmen effarouchés qui ne savent plus quoi faire en arrivant à l’aéroport ? Mais puisqu’on vous dit de faire des films d’au moins 2h !
Donc bon un film sympa en terme de divertissement mais manque de réel casse-tête psychologique et reste pour ma part un gros questionnement sur le message que le film laisse sur l’euthanasie et la moralité de Rhymes quant à son influence dans tous les choix d’action et de vie d’Amelia.