« So, if I go with you to the factory, I won't ever see my family again ? » CHARLIE BUCKET

Roald Dahl n'a pas son pareil pour conter les histoires. Un brin moralisateur, l'auteur sait récompenser les gentils et punir les méchants à la fin, quitte à abuser des clichés les plus burlesques lorsqu'il construit certains de ses personnages, on n'en est que plus contentés de voir ces vilains enfants punis. Fantaisiste au possible, il entraîne son lecteur dans une course effrénée où le monde du possible sait se distendre à l'infini, histoire de surprendre à chaque coin de page, un lecteur hébété dont les cinq sens seront mis à l'épreuve tout au long de son Charlie and the Chocolate Factory publié en 1964.

L'idée d'adapter au cinéma le roman de Roald Dahl a germé dans l'esprit de Tim Burton dès la fin des années 1980. Cependant Roald Dahl, déçu par l'adaptation Willy Wonka and the Chocolate Factory de Mel Stuart en 1971, s'y opposa. En effet, Roald Dahl n’avait pas aimé l’interprétation de Gene Wilder en Willy Wonka et il trouvait que ce dernier prenait beaucoup trop de place dans le récit, il écrasait le personnage de Charlie Bucket (le film de Tim Burton fera exactement la même chose).

Le projet semblait alors envolé pour Tim Burton, mais la mort de Roald Dahl en 1990 lui permet de retenter sa chance auprès des héritiers du romancier. Il faudra pourtant attendre 1998 pour qu'un accord soit trouvé et 2003 pour que le réalisateur, aidé par ses deux derniers succès au cinéma, décide de se lancer dans cette adaptation.

Tim Burton se met au travail d’écriture avec John August qui avait déjà adapté le roman Big Fish : A Novel of Mythic Proportions de Daniel Wallace pour le Big Fish de Tim Burton en 2003.

Charlie and the Chocolate Factory sort durant l’été 2005.

Tim Burton s’en donne à cœur joie dans l’art des vignettes surcolorées et la façon de mettre en valeur ses décors extravagants. Le cinéaste a su saisir à pleine main l’acidité et la méchanceté du roman originel de Roald Dahl : les gamins, encouragés par leurs parents, courent après la bouffe, se gavent de compétition, boivent les images de leur télévision, sucent le sang d’un daddy qui cédera au moindre des caprices. Tapis roulant insensé d’une existence où l’on se contente parfois de tourner des bouchons de dentifrice pour faire tenir debout une baraque qui penche dangereusement vers le sol. Les pénates du bonheur, imbibées de chocolat, et dont la clef n’est rien moins qu’un ticket d’or, se font maison de correction pour enfants pas sages, avec Willy Wonka en sire un peu triste, héros de la fable et enfant mal grandi.

Si, chez les Bucket, l’amour familial est concentré dans un lit, une soupe ou un cadeau d’anniversaire que l’on partage, la famille et le lien père / fils chez les Wonka s’expriment surtout sur le fauteuil d’opération, les crocs ressortis ou une roulette à la main. Le film parle davantage du personnage de Willy Wonka que de celui du jeune Charlie au grand cœur. Wonka senior, ennemi des dents gâtées, et Wonka junior, un appareil de torture qui lui déforme la bouche, ne rêvant plus que de sucreries qu’il amasse, un déguisement de fantôme posé sur la tête. Avant les possibles réconciliations, Tim Burton filme, comme toujours, les fuites en avant de l’imaginaire et ses errances plus amères.

Le personnage de Willy Wonka, interprété par Johnny Depp, prend une autre ampleur dans les mains du réalisateur et du comédien. Si dans le livre, il reste un personnage énigmatique et insaisissable, dans le film, Willy Wonka s’épaissit. Pas tout à fait sorti de l’enfance, pas encore entré dans le monde adulte, Willy Wonka fait figure d’enfant torturé et triste.

Freddie Highmore impose sa mine ouverte, ses yeux grands ouverts sur le monde mais tout près à croire en l’impossible donc à la magie. Le jeune comédien est d’ailleurs directement recommandé par Johnny Depp avec qui il a partagé l’affiche dans Finding Neverland. Par contraste avec le grotesque des autres gamins, le spectateur ne peut que s’identifier à Charlie et ressentir de l’empathie pour lui.

Tim Burton a regroupé autour de lui ses collaborateurs les plus fructueux, outre Johnny Depp, il y a Missi Pyle, Helena Bonham Carter, mais aussi le compositeur Danny Elfman toujours présent aux côtés de son ami cinéaste.

On aura un dernier mot pour Deep Roy qui incarne les Oompa-Loompa. Sans beaucoup de textes, l’acteur est de tous les plans dans la chocolaterie et le nombre de ses déguisements dépasse l’entendement. Chaque scène où apparaissent les Oompa-Loompa est un concentré délirant, bourré de clins d’œil, de chansons frappadingues qui scandent les éliminations des enfants donnant un décalage savoureux et cocasse à des scènes qui auraient pu être très dures.

Incisif, avec Charlie and the Chocolate Factory, Tim Burton porte un regard d'une savoureuse ironie sur certains traits de notre société. Le marketing de l'opération Wonka, l'emprise de sa chocolaterie sur le marché mondial, l'avidité provoquée par son jeu, l'appât du gain qui pointe, les excès de la société de consommation, l'individualisme outrancier, l'argent roi, tout cela est sous-jacent. Sous des allures de balade gentillette et colorée, le film dénonce comportements et modes de pensées à travers une galerie de personnages et de situations corsées. Moins sombre certes mais toujours critique et anticonformiste, dans un registre humoristique, entre rire franc et appréciations lucides, Tim Burton nous offre la visite dans la bonne humeur d'une chocolaterie aux pralines étonnamment acidulées.

StevenBen
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le 4 déc. 2023

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Steven Benard

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