Sous l’égide de Woody Allen (notamment par le fait que le caractère extravagant du personnage incarné par Sandrine Kiberlain n'est pas sans rappeler celui joué par Diane Keaton dans Annie Hall !), d’Ingmar Bergman (si vous ne comprenez pas quelle est la référence à ce cinéaste durant une bonne partie du visionnage, les dernières minutes vous l’expliquent de la manière la plus explicite qui soit !) et inévitablement d’Eric Rohmer, Emmanuel Mouret réalise un ensemble se composant d’une suite de séquences, étalée sur plusieurs mois, avec principalement pour personnages, un homme marié et sa maîtresse mère célibataire (on ne voit jamais ni les enfants, ni l’épouse trompée pour mieux se concentrer sur le fil scénaristique unique !), en multipliant les lieux (appartement, parc, musée, librairie, cabinet de travail, chambre d’hôtel, maison de campagne, forêt, etc. !).
Avec son art du verbe, le réalisateur filme à travers de longs plans, avec peu de découpages, ses deux protagonistes discutant de leurs situations, de leurs relations, de la future fin de leur liaison, quelquefois juste avant ou juste après un échange physique amoureux. Ils se bercent de l’illusion de rester hors de tout sentiment, si ce n’est le désir sans passion. Ouais, mais ce bon plan cul idéal et la complexité humaine ne sont pas faits pour vivre en harmonie. Ce que mettent admirablement en relief la remarquable ainsi que subtile composition des interprètes et la finesse de l’écriture (par contre, Emmanuel, s’il y a une chose encore plus conne qu’un comédien faisant semblant de boire dans une tasse vide, c’est un comédien soufflant dans ce même type de récipient vide, contenant soi-disant de l’eau chaude fumante !).
Et le couple, en se refusant à faire évoluer, en dépit de leur volonté profonde contraire, leurs rapports sentimentaux, essaye de se renouveler sur leurs rapports physiques avec un troisième protagoniste (excellente Georgia Scalliet, je me devais de citer son nom !). Je ne vais pas en dire plus, si ce n’est que cela renouvelle l’intérêt pour une histoire qui aurait risqué inévitablement de trop tourner en rond (autant pour les spectateurs et spectatrices que pour notre duo amoureux !).
Si le fond est celui d’un mélodrame, la forme est celle d’une comédie trouvant sa drôlerie dans la franche audace de la femme, proposant au lieu de disposer, et dans le fait que l’homme ne peut pas se retenir de se lancer, même quand les circonstances s’y prêtent le moins, dans des logorrhées dans lesquelles il se sent obligé de tout analyser, y compris son peu d’estime de soi.
J’ai apprécié le film dans sa globalité, mais avant de finir cette critique, je ne peux pas m’empêcher d’évoquer des moments que j’ai particulièrement adorés. Par exemple, dans les vestiaires d’une salle de tennis, les deux protagonistes discutent alors qu’ils sont en train de se changer, chacun dans une cabine l’une à côté de l’autre. Une femme apparaît pendant ce temps-là dans le plan, ouvre son casier pour prendre des affaires et s’éloigne, mais elle le fait en ralentissant un peu ses mouvements pour mieux profiter de la conversation. Cela a l’air de rien, mais je kiffe ce genre de détails d’apparence insignifiante, mais qui sont d’une belle justesse (non, sérieux, que celui ou celle qui n’a pas fait traîner, sans vouloir se faire griller, un jour sa marche ou ses gestes dans un lieu public, car intéressé(e) par une conversation entre des inconnu(e)s, me jette la première pierre !). Ou encore (je vais être vague dans ma description pour ne pas trop en dévoiler !) celui dans un musée, avec une personne s’approchant, qui n’est pas dénué de suspense, car on ne sait pas qui est cette personne, pourquoi elle se dirige vers les deux protagonistes et pourquoi notre homme infidèle a un regard angoissé.
Pour conclure, Chronique d’une liaison passagère est une réussite douce-amère, douce à l’extérieur, amère à l’intérieur. Si vous aimez la richesse de la langue française, la poésie de la confusion des sentiments… bref, si vous aimez le cinéma d’Emmanuel Mouret, je vous recommande sans réserve cet opus.