La campagne promotionnelle du film ne laissait pas envisager que la photographie allait prendre une place aussi majeure, ni jouer un rôle aussi prépondérant en tant que clé de lecture centrale, du moins dans mon interprétation personnelle d'étudiant en photographie.
En effet, la guerre civile imaginée ici est tout autant une réalité dépeinte au niveau des acteurs actifs de celle-ci (les soldats) qu'au niveau des acteurs passifs (les journalistes). Ces derniers - que nous suivons - ne sont que des témoins, des observateurs, certes aguerris, mais néanmoins sans impact sur les évènements auxquels ils assistent, ou plutôt subissent.
Lee se rendra compte de cette inefficacité ("Je pensais qu'en faisant ce que je fait, cela envoyait un message clair : Ne faites plus ça.") Pas tant à cause de l'incapacité de la photographie à transmettre la réalité des évènements (bien qu'en tant que tel ce soit le cas) mais plutôt à cause de l'incapacité des civils à voir (cf. la commerçante lisant son bouquin, échappant doublement à la réalité)
Pas besoin d'être journaliste ou photographe pour s'identifier à nos personnages principaux puisque nous sommes aussi tous et toutes des témoins, des observateurs des évènements qui nous entourent, supposément neutres, et avec ce besoin désormais inhérent de prendre part à ces évènements (en prenant position, en prenant des photos), simplement à partir d'une position plus éloignée, et à travers les images et les informations qui nous parviennent. En s'éloignant ainsi de la réalité, les discours portés et les choix qui en découlent se rapprochent des extrêmes, faisant disparaître toute possibilité de dialogue (cf. les partis politiques d'aujourd'hui, qui ne débattent pas, mais hurlent par monologues semi-interposés)
Les personnages du film en sont aussi victimes : le président appelant les sécessionnistes au dialogue à la radio tout au long du film sans réponse, la militaire dans la Maison Blanche refusant toute proposition de négociation et tuant la porte-parole, le néo-nazi n'utilisant le dialogue (sous forme de questions) que pour consolider l'absence de dialogue (d'entente possible) et justifier ses actes, etc...
Cette attention portée aux observateurs de cette guerre plus qu'aux militaires & politiques qui la mènent atteint son paroxysme lorsque le climax du film n'est pas l'assassinat du président (prévu et prédit depuis le début du film, anti-spectaculaire, et dont la photo prise est complètement ratée) mais bien l'assassinat de Lee. Je dit assassinat car selon moi Jessie sait pertinemment les conséquence de l'action suicidaire qu'elle entreprend, et prédit - ou plutôt déclenche - la réaction et la mort de Lee. En effet, depuis sa rencontre avec son héroïne au début du film, ses photographies portent tout autant sur la guerre que sur les observateurs de celles-ci (faisant ainsi rentrer dans le cadre l'observateur, apportant une dimension méta et saisissant ainsi l'inefficacité des images prises et l'inefficacité de ces observateurs qui n'interviennent pas dans les évènements (cf. homme ligoté par un pneu brûlé vif) : à quoi servent ils dans ce cas ?) et plus particulièrement sur Lee : photo d'elle au début photographiant les cadavres après l'attentat, photo d'elle et ses confrères dans les rétroviseurs de la voiture, photo d'elle en robe, et enfin photo d'elle en train de se faire tirer dessus à la fin. Et le climax du film réside ici, accentué par la mise en scène : les observateurs (ici Jessie) - jusqu'alors toujours passifs - changent de camps en impactant l'évènement auquel ils assistent, surgissent dans la réalité, brisant à la fois une déontologie implicite et un 4ème mur invisible normalement infranchissable, et déclenchant une autre forme de guerre civile, métaphysique, qui vient brouiller les frontières entre acteur et observateur, entre soldat et photographe, entre appareil photo et arme à feu, permettant à la photographie d'avoir son premier impact sur la réalité.