Coraline
7.2
Coraline

Long-métrage d'animation de Henry Selick (2009)

Burton?! 'Connais pas...!

Quel bruit à la sortie de ce Coraline! Certains qualifiant le film de véritable chef d'œuvre, d'autres s'insurgeant contre ce matériau à traumatisme, véritable menace pour nos chérubins adorés!

Coraline c'est le grand retour par la petite porte du géant Henry Sellick ... C'est à dire, ni plus ni moins que le réalisateur du cultissime Etrange Noël de Monsieur Jack, objet déjà clivant au moment de sa sortie, en 1993. Loin de s'être laissé démonter, Sellick revient, en 2009, avec ce nouveau petit bijou d'animation en stop motion, afin de prouver à qui veut bien l'entendre qu'enfantin ne rime pas avec niaiserie, et qu'animation rime avec frissons!

Tout d'abord, le long-métrage se distingue du tout venant par son ambiance maladive et inquiétante, ces chara-design typés et extrêmement expressifs, de même que par une bande sonore pour le moins... Particulière. En effet, contrairement à la plupart des films d'animations modernes, les partitions s'apparentent à des chœurs accompagnées seulement par quelques notes de piano, de cuivre ou de harpe. L'ambiance sonore s'inspire de comptines, ritournelles ou encore des ballades anglaises, conférant au film un aspect poétique envoutant. Cela rappellera aux mélomanes aguerris l'univers d'un réalisateur au look gothique et aux yeux cernés, sauf qu'à l'inverse du travail de Danny Elfman pour les films de Tim Burton, la partition du compositeur français Bruno Coulais ne s'emballe pour ainsi dire jamais . Même durant les moments vraiment tendus, la musique évite toute forme d'agitation, préférant jouer la carte de la sobriété en ajoutant quelques variations, de sorte à amplifier le sentiment d'insécurité qui plane au sein du métrage.

L'autre force de Coraline est le travail minutieux sur les décors. Le film se déroulant en huit-clos, Sellick et son équipe ont du déployer des trésors d'ingéniosité, tant du point de vue architectural que dans le travail sur les environnements extérieurs pour captiver l'attention des spectateurs et retranscrire les différentes ambiances. D'où un sentiment de constantes découvertes, aucunement freiné par la rigidité de la technique.

Pluralité du regard

Mais la principale qualité du film demeure l'univers dans lequel prend place l'intrigue, et les sous-entendus qui y sont disséminés. Comme je l'évoquais plus haut, l'univers de Coraline est toujours à mi-chemin entre le conte de fée traditionnel et la nouvelle fantastique. On va suivre une héroïne moderne, à l'existence morose et désespérément triste, suite au fait qu'elle a déménagé dans un ancien palace, pour permettre à ses parents de travailler. Ennui assuré, et en prime, elle va devoir découvrir sa nouvelle école, où tout le monde porte l'uniforme. En quête de l'attention de ses parents et, pourquoi pas, d'un peu de nouveauté et d'aventure pour casser la tristesse du quotidien, la voilà projetée dans une sombre histoire de sorcellerie, de fantôme et d'univers parallèle au sien. On a connu plus reposant comme vacances! Mais c'est dans cet aspect lugubre que le film trouve son principal intérêt. Car le fantastique n'est pas qu'un cache-misère, pour se donner de l'importance; au contraire cette dimension sombre est pertinente en ce qu'elle offre au spectateur la possibilité de relire l'œuvre de manière totalement différente suivant son âge. Comme tout bon conte de fée, Coraline est un divertissement sur lequel chacun sera libre de projeter ses propres rêves et incertitudes. Les plus jeunes y verront une morale assez évidente: "parfois, il vaut mieux se contenter de ce que la vie nous donne et non se laisser emporter par nos rêves". En revanche, les plus grands y verront un message beaucoup plus amer et sombre...

Tout ce qui brille

Car Coraline est bel et bien un questionnement sur le monde des adultes. En effet, c'est bien la responsabilité des grandes personnes et leur déconnection du réel qui est le frein à la communication entre eux et l'enfance. Pour ses parents, Coraline doit se faire le plus petit possible pour ne surtout pas déranger la réalisation de leur catalogue de fleurs, et il est plus ou moins sous-entendu que le travail les dévore. Mais comme le fait remarquer judicieusement la jeune fille, pourquoi s'être lancé dans la rédaction d'un catalogue de fleurs si ce n'est pas pour les étudier? Par bien des aspects, le personnage de Coraline est loin d'avoir tort lorsqu'on observe l'attitude totalement déconnectée du réel de ses parents. La mère est stricte et méthodique au point de ne pas connaître ses voisins. A l'inverse, le père est passif et résigné à obéir à sa moitié, car il reste perpétuellement le regard vissé sur l'écran de son ordinateur.

L'intrigue évite ainsi un écueil, celui de faire de l'enfant un personnage passif, qui se contente de se plaindre et doit apprendre bêtement sa leçon, sans rien en tirer de plus sur lui-même et sur le monde qui l'entoure. Au contraire, le voyage de l'héroïne revêt ici une dimension symbolique, celle de l'absurdité de la société (comme Alice in Wonderland, dont le film s'inspire). Sa confrontation ne se fera pas directement contre ses parents, qui ne sont que victimes des évènements, mais contre une force obscure qui ne révèle pas son vrai visage jusqu'à la fin, toujours dissimulée derrière des simulacres d'êtres humains. Car cette force n'a pas d'identité propre ou de forme définie. Elle ne fait que se nourrir de l'âme des autres. Faute de mieux, Coraline l'appelle l'Autre Mère, car c'est bien l'image erronée du rôle d'une Mère qu'elle va devoir dépasser. Pas celle faite de chair et de sang, mais bien cet Idéal qu'on lui a vendu dans les publicités, dans les sitcoms... Mais aussi dans les contes (du moins ceux enjolivés par les frères Grimm, et Disney!). Là où je veux en venir c'est que l'Antagoniste qui plane sur les protagonistes est le vide que dissimule la superficialité à l'œuvre derrière l'apparence de la société "moderne". C'est là qu'on voit véritablement la filiation entre Burton et Sellick, puisque Burton, durant tout un pan de sa carrière, s'est attelé à dénoncer les faux-semblants et la vacuité des aspirations de ses contemporains(le point d'orgue se situant dans Mars Attacks!). Sauf que si chez l'un, la thématique est explicitement donnée, elle est bien plus insidieuse chez l'autre. Chez Sellick, il n'est pas question de banlieusardes nord-américaines huppées ou de société victorienne oppressante, mais bien de l'aliénation que les personnages se créent eux-mêmes, a force de se conformer à l'idée qu'ils se font du Bonheur. Pour Coraline, le bonheur passe par une Mère aimante, attentionnée, sans cesse en mouvement pour imaginer ce qui pourrait satisfaire sa fille chérie. Une image illustrée par le fait qu'elle est toujours en cuisine, occupée à préparer un repas savoureux. Bref, la mère bien clichée et idéalisée véhiculée par la société de consommation. Cette société qui dévore les rêves et indirectement l'âme de la jeunesse. Le consumérisme est cependant bien triste et misérable du fait d'être vide. Littéralement. Désespérément. Ce constat est aussi valable pour l'entourage de Coraline; ses parents voient le travail comme une fin en soi, les voisines gaga restent bloquées dans leur passé de starlette, etc... Le seul personnage à rester lucide et qui guidera Coraline est le chat, qui voit claire dans les gens, au delà des apparences. C'est en acceptant, à son tour, de voir au travers du visible que Coraline pourra triompher de son Adversaire, exploitant ses faiblesses contre Lui (ou Elle?).

Mère ou ogresse ?

Enfin, Coraline aborde un sujet sensible, qui fera inconsciemment mal aux adultes comme aux enfants: la maltraitance et la figure du parent toxique. En effet, si on y fait bien attention, tout le récit pourrait traiter de la relation psychologique que la jeune fille entretient avec sa Mère.

Les arguments allant dans ce sens sont que les parents abusifs achètent souvent leurs enfants par des cadeaux, des jeux, mais aussi en jouant sur un sentiment de culpabilité perpétuelle. Un indice de cela serait les moments ou "l'Autre" mère réprimande Coraline, la manipule, essayant même de l'attendrir, notamment à la fin. Ce n'est pas non plus un hasard que sa forme finale soit une araignée qui veut piéger sa proie dans sa toile. Et puis, il y a toute la thématique des yeux qui sont le reflet de l'Ame, et les boutons qui symbolisent littéralement le fait de voir les choses comme le veut la "Mère". Toutt ceci pourrait tout aussi bien n'être que le parcours mental d'une victime de maltraitance et d'abus de la part d'un membre de sa famille.

Même l'intro, au sens figuré, semble traiter des sévisses infligés à l'enfant, avec ce moment dérangeant où la poupée revient vers la main métallique de la Beldam.

De plus, il y a aussi une inspiration majeure de conte de fée, à mon sens: Hansel et Gretel, qui parle des parents défaillants de façon détournée et psychologique. Cette manière de voir le fantastique et le conte comme un moyen psychologique d'affronter les tabous liés à la parentalité est d'ailleurs plus explicite dans des films récents comme Mama et The Babadook.

En cela, la noirceur du récit apparait comme une volonté d'actualiser les thématiques des contes de fées de jadis. Une sorte de cadeau empoisonné du papa de Jack Skellington qui nous met en garde contre nous-mêmes, contre le regard que nous portons sur les choses et les autres. Et nous rappelle que, bien souvent, les critères sur lesquels se basent nos jugements reposent sur du vide.

Où sommes-nous? -Dans la partie vide de ce Monde. Elle n'a créée que ce qui pourrait t'impressionner.- Pourquoi? Pourquoi me veut-Elle? - Je pense qu'Elle veut quelque chose à aimer. Quelques chose qui n'est pas Elle... Ou alors, quelque chose à manger.- Manger?! C'est ridicule; les mères ne mangent pas leurs filles?!- Je ne sais pas. Tu sais quel goût tu as?
Hein? Comment peut-on s'éloigner d'un endroit et y revenir en même temps?- En en faisant le tour!- Ce monde est petit!
Aegus
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le 13 oct. 2023

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Aegus

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