Où les défauts en sommeil depuis le premier Creed explosent, pour laisser un sale goût dans la bouche...
Résumons : Rocky a toujours été l'avatar de Stallone. La révélation (le 1), la confirmation (le 2), la célébrité (le 3), la grosse tête (le 4), la gueule de bois (le 5), le retour en grâce (Balboa). En creux se dessinait un poignant portrait d'homme de la rue empli de failles, de doutes, qui chutait souvent et se relevait plus souvent encore, qui apprenait de ses erreurs pour transmettre une sagesse acquise épreuve après épreuve. Et il faut bien reconnaître que le premier Creed, malgré d'énormes défauts (une bonne part de la mythologie y était déjà passée sous silence), se posait en digne suite thématique en laissant tout espace à un Rocky plein de sagesse.
Hélas, la saga s'appelle Creed... Et pas Apollo Creed mais Adonis Creed, personnage sorti de nulle part, sans vrai passif, sans motivation valable, mais à qui l'on sert tout sur un plateau d'argent.
Adonis ne chute jamais, et lorsque c'est le cas, il reste tranquillement dans son manoir. Il ne retourne pas dans la crasse come Rocky, il ne déprime pas, non : il passe à la TV pour engueuler le sale prolo à qui il n'aurait jamais dû tendre la main et qui a eu l'outrecuidance d'exiger son dû.
Vous le sentez venir, le propos puant ?
L'ennemi de Creed dans cet épisode est le vrai Rocky : un type qui en a bavé, qui s'est fait rouler dans la farine, qui a vu sa vie lui passer sous le nez, et qui redouble d'efforts pour s'accrocher. Mais, au gré d'un twist (qui ne tient guère la route par ailleurs), le personnage est diabolisé, et la classe ouvrière présentée comme un repère de types vicieux et manipulateurs. Et tout ça pour quoi ? Pour redorer l'image d'un gosse de riche qui n'a jamais pris de risques, et qui s'est hissé sur les épaules d'un mentor aujourd'hui bazardé. En cela, pas de doute : Creed est bien l'avatar de Jordan, qui a volé le travail de Stallone pour construire sa légende. Ou essayer du moins, puisque l'illusion ne prend guère : le film a beau s'acharner à présenter Damian en version 2.0 du Tommy Gunn de Rocky 5, l'écriture d'Adonis rend le perso-titre si antipathique que l'on se prend vite d'affection pour le loser, aussi contestable soit-il.
D'autant plus que Jordan se tire une balle dans le pied au travers de sa mise en scène aussi lourde que son melon : là où Avildsen, Stallone et même Coogler avaient l'intelligence de pondre des combats réalistes, dans un style presque documentaire, brut et sec ; Jordan opte pour un style hérité du manga, sans doute pour se dépeindre en surhomme de la boxe. Hélas, cela ne fait que souligner son incompréhension de la licence puisqu'il est dès lors impossible de s'attacher à lui comme à Rocky, cet homme en détresse qui saignait, se brisait les os et la gueule, et finissait ses combats en vrac. Adonis achève son film propre et net, du moins en apparence... Car dans le fond, entre perversion de l'essence de la saga et ego-trip mal placé, difficile d'éprouver quelque sympathie pour cette série dérivée qui n'a que trop duré, et qui n'a au fond aucune raison d'exister tant elle se montre ingrate.