Après une incursion dans le vaudeville bourgeois, bavard, statique, théâtral – Doubles vies, vraiment pas un bon cru – Assayas retrouve sa verve qui me séduit le plus, soit celle qui avait fait naître, il y a dix ans, Carlos, son chef d’œuvre : Fresque fascinante, à la fois biopic et film d’espionnage, en mouvement permanent. S’il en reprend les atours, on comprend rapidement que Cuban network n’en garde pas l’amplitude, la faute avant tout à son format : Carlos, déjà, fonctionnait beaucoup moins sur sa version salle. Il lui fallait cinq heures pour qu’on l’apprécie à sa pleine mesure.
Il manque quelque chose dans Cuban network. Des chapitres ? Davantage de consistance narrative ? Une pleine maitrise de sa construction ? De la sidération ? Un peu tout ça, sans doute. Tout n’est pas très bien agencé : En témoigne l’imposant nombre de fondus au noir, aveu d’impuissance terrible. Les personnages regroupant le Cuban five ne sont pas du tout traités de façon égale. Et plus simplement, ça manque de séquences fortes, de gifles, de climax. Comme si Assayas s’y refusait, pour ne pas tomber dans le sensationnalisme ou plus simplement par manque de moyens. On se souvient que Carlos, dans sa version série, étirait énormément et compensait ses pics. Et c’est là qu’Assayas est le meilleur. Quand il installe et trouble la durée. Ici c’est pendant un mariage. Ou la préparation d’un triple attentat. Il sait créer de la tension. Et étirer cette tension.
Si ces faits sont réels et chacun de ces personnages aussi, il eut fallu raconter autrement ces entrées dans le récit afin qu’on s’y accommode de façon équilibrée. C’est d’abord René Gonzalez (soldat castriste ayant sacrifié sa vie familiale pour ses convictions politiques) qui sera au centre des débats. Puis il laissera sa place à Juan Pablo Roque (un lieutenant nettement plus ambigu) le secondant par intermittence. Avant que Geraldo Hernandez (Leader du Wasp Network) leur prenne le pouvoir (du champ). L’idée est intéressante mais elle débouche trop sur un twist fabriqué : Une scène centrale, avec un narrateur en off, une vitesse inédite, l’apparition d’un split screen, tout ça survient maladroitement, comme si on déboulait dans un film de Tarantino. Il y a un redéploiement, certes, mais ça casse un peu la cohérence, l’homogénéité du récit.
Autre chose, il est dommage qu’Assayas ne choisisse pas. L’idée de raconter le point de vue de celles et ceux qui gravitent autour des espions – celui de leurs femmes, notamment – est passionnant sitôt pris à bras le corps (quelques instants aux côtés d’Ana Margarita Martinez (Ana de Armas, magnifique) ou avec Olga Salanueva (Penelope Cruz, solide) mais trop brefs et bâclés in fine) mais ce n’est pas le cas ici, ces hommes espions, bien qu’opaques, restent au centre. Aussi, Assayas insère parfois des images d’archives. Une prise de parole de Clinton après que des avions de tourisme furent abattus par l’aviation cubaine. Mais aussi un extrait d’entretien avec Fidel Castro. C’est bien, mais on sent qu’il ne sait pas trop où les glisser.
Je pense aussi que le film manque de formes et d’abstraction. Avec son lieu (Miami & La Havane), ses Cessna et ses infiltrations, j’espérais, je crois, qu’Assayas nous offrirait son Miami Vice. Mais difficile d’avoir un matériau aussi dense (L’histoire des espions cubains et de cette guerre souterraine contemporaine) et de tendre vers l’abstraction. Le romantisme cher au cinéma de Michael Mann n’est pas si loin, Assayas le tutoie par moment mais pas suffisamment. Bref, fallait soit en faire une série soit opter pour le pur vertige. Quoiqu’il en soit ça reste un film très intéressant tant il conte un fragment assez méconnu de l’histoire contemporaine.