Désopilant. Du verbe « désopiler » qui veut dire « déboucher ». Du latin « oppilare » : boucher, obstruer. Il s’agit d’un terme qui appartient au vocabulaire de la médecine antique, il est lié à la théorie des humeurs. On dit d’un organe qu’il est désopilé quand il est débouché, qu’il laisse à nouveau passer un fluide. En particulier la rate, à laquelle on attribuait la vertu de faire rire ou de demeurer chagrin. Un faquin qui dirait "Je me désopile à pleine rate" veut donc signifier que son organe, n’étant plus obstrué, laisse couler à plein flot le liquide vital qui fait qu'il se gausse.
Dans la peau de Michel Gardin est donc un film désopilant mais dans quelle mesure nous débouche-t-il ? Comment nous débouche-t-il ? Ne pousse-t-il pas le bouchon trop loin ?
Il y a le bouchon de la blague de beauf. Le film pourrait être adéquatement décrit comme ces blagues si fines et délicates, galéjades antiques, bons mots du temps jadis, qui commençaient si gracieusement de la sorte : « alors t’as un pédé, un juif, un noir, une camée et un alcoolo sur une île… ».
Il y a le bouchon de la dérision. La scène du défilé des sosies est proprement hilarante. Gardin et Houellebecq assistent impuissants et médusés à l'exhibition de candidats qui ressemblent à Kurt Cobain, à Patrick Juvet. À tout sauf à l’auteur de la Possibilité d’une île. Des sosies goguenards singent l'écrivain neurasthénique avec sa parka, sa cigarette entre l’index et l’annulaire, bref son style de clodo. Ça y est, Houellebecq est entré dans la conscience populaire, il a obtenu son kitsch. « Le kitsch, écrivait Kundera dans l’Insoutenable légèreté de l’être, c’est la station de correspondance entre l’être et l’oubli ». Houellebecq ne peut donc plus être oublié. Il fait maintenant partie des meubles de la culture francaise. Nicloux a cependant l'intelligence d'enregistrer tout cela avec humour. On éclate de rire quand Houellebecq comprend qu'il est venu en Guadeloupe pour présider le jury d'un concours où les participants viennent se foutre de sa gueule d'épave décadente métropolitaine.
Il y aussi le bouchon du charisme. Les personnages secondaires sont parfaits. Luc Schwarz en particulier, le compère de krav maga de Houellebecq depuis L'Enlèvement, crève l’écran. Le duo comique du gros balaise et du petit vieux fonctionne à merveille dans le dispositif délirant de réalité-fiction stripteasée de Nicloux.
Il y a enfin le bouchon du lyrisme. Le morceau de bravoure du film est le moment où Franky Vincent, en gloire dans un costume scintillant, interprète une merveilleuse Marseillaise aux accents chaloupés. Rencontre inattendue et fortuite de Rouget de L’Isle et du zouk, presque aussi belle que celle d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection.
On me faisait remarquer récemment qu’Albert Serra n’était pas un réalisateur français, j’avais donc perdu un de mes quatre cavaliers de l’Apocalypse du cinéma français. Mais où avais-je la tête ? Nicloux est évidemment le quatrième.
Voici donc pour conclure les quatre mousquetaires, les quatre éléments, les quatre roues motrices, les quatre racines du principe de raison suffisante, les quatre saisons, les quatre cents coups, les quatre nobles vérités, les quatre points cardinaux du cinéma français, par ordre alphabétique : Dumont, Dupieux, Mandico, Nicloux.